9 octobre 2024
9 janvier 2017
Par Daniel Frajman
Depuis une modification législative en 1994, le Code civil du Québec (« CCQ ») exige qu'il y ait un fiduciaire indépendant (c.-à-d. qu'au moins un fiduciaire ne soit pas un bénéficiaire).
Les tribunaux ont déterminé que jusqu'à ce que la fiducie nomme un fiduciaire indépendant, les mesures prises par la fiducie (p. ex. la signature de conventions et peut-être la distribution de fonds de la fiducie) sont nulles.
De plus, afin de déterminer qui peut agir comme fiduciaire indépendant, la jurisprudence n’a pas clairement déterminé s'il faut appliquer un test objectif (le fiduciaire visé est-il un bénéficiaire actuel ou futur?1) ou un test subjectif (les faits en cause, tels les liens de famille, voire d'amitié ou autres, pourraient-ils influencer indûment le processus décisionnel du fiduciaire de manière à ce que ce dernier, même s'il n'est pas un bénéficiaire actuel ou futur, ne serait pas indépendant?2).
Par conséquent, l'existence d'un fiduciaire indépendant est absolument nécessaire à la création d'une fiducie, mais cette indépendance pourrait être difficile à déterminer.
Il existe toutefois une autre option. Il s'agit de la « substitution » aux termes du CCQ.
La substitution provient du droit français et a toujours fait partie du droit québécois alors que les les fiducies proviennent du common law britannique. Les fiducies n'étaient pas incluses dans le premier Code civil et y ont été ajoutées par la suite.
La substitution peut s'établir par donation si la personne l'établissant est toujours en vie (une substitution entre vifs) ou par testament (une substitution testamentaire). Dans sa forme la plus simple, le donateur fait un don de biens au « grevé » qui peut l'utiliser, par exemple, sa vie durant. Lors du décès du grevé, les biens sont transmis aux personnes nommées par le donateur, à savoir les « appelés ».3
Fait intéressant de la substitution : aucun fiduciaire n'est requis (encore moins un fiduciaire indépendant). Il est également très important de noter que du point de vue fiscal, la substitution est réputée être une fiducie (voir le paragraphe 248(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu et la disposition équivalente de la Loi sur les impôts (Québec)).
Comment cela se traduit-il en pratique? Considérons l'exemple fictif suivant. Monsieur Tremblay souhaite que sa conjointe, Madame Tremblay, reçoive, de son vivant, tous les revenus de sa succession, avec un droit de prélèvement sur le capital, pour son seul avantage, afin de subvenir adéquatement à ses soins, à son soutien, à son entretien, à son confort et à son bien-être en général. Les enfants du couple doivent recevoir ce qui restera du capital uniquement lors du décès de Madame Tremblay.
La première option serait de créer une fiducie dans le testament de Monsieur Tremblay. Aux fins des lois du Québec, Madame Tremblay ne pourrait être l'unique fiduciaire administrant les actifs de son défunt conjoint. Elle pourrait être très mal à l'aise avec l'ajout d'un fiduciaire indépendant pour administrer le tout avec elle, et souhaiterait plutôt être l'unique fiduciaire (ce qui serait acceptable ailleurs au Canada, où la règle du fiduciaire indépendant n'existe pas).
L'autre choix serait d'inclure une substitution dans le testament de Monsieur Tremblay. Madame Tremblay serait la « grevée » quant aux biens, et il serait prévu que lors de son décès, le restant du capital serait légué à leurs enfants, qui seraient alors les « appelés » en regard de ces biens.
D'un point de vue fiscal, puisque la substitution est réputée être une fiducie, il peut y avoir un report d'impôt à travers une fiducie testamentaire au profit du conjoint qui sera créée au décès de Monsieur Tremblay. Les revenus payés ou payables en faveur de Madame Tremblay seront imposées entre ses mains. Des déclarations d'impôt pour fiducie sont à remplir pour la substitution, et ce, jusqu'au décès de Madame Tremblay.
La décision rendue dernièrement par la Cour d'appel du Québec dans Boudreault c. Boudreault4 semble indiquer qu'une telle substitution ne requiert aucun fiduciaire, et que le bénéficiaire de premier rang peut recevoir par exemple, tous les revenus générés par les biens , et avoir le droit d'entamer le capital en sa faveur.
Dans certaines situations, une substitution pourrait être une bonne alternative à une fiducie, mais ce n'est pas toujours le cas. Par exemple, la substitution ne prévoit pas vraiment de protection contre les créanciers (puisque du point de vue du droit civil, le grevé est propriétaire des biens, la propriété étant par la suite transmise à l'appelé). En outre, dans le cas d'un gel successoral, la substitution ne peut être effectivement utilisée à la place d'une fiducie. De plus, si l'on souhaite avoir un fiduciaire indépendant (ou un cofiduciaire non indépendant) pour tenter d'assurer la sécurité des bénéficiaires du capital, une fiducie est plus appropriée.
Toutefois, dans plusieurs cas, y compris la situation décrite ci-dessus pour les fictifs Monsieur et Madame Tremblay, une substitution pourrait être une bonne solution à une fiducie. Une fiducie ou une substitution : voilà un choix difficile qui devrait être fait avec soin selon les faits et circonstances de chaque cas.
Il me ferait plaisir de vous fournir de plus amples détails, de même que les clauses de substitution utilisées pour les dons et testaments de mes clients.
1 C.T. c. D.J., 2009 QCCA 22460.
2 Graham c. Boyer-Richard, 2004 CanLII 20712 (CSQ).
3 Il ne peut y avoir qu'au plus trois rangs de bénéficiaires dans la substitution.
4 2015 QCCA 1781.