Retour English version
Droit fiscal

LA RECTIFICATION D'UN CONTRAT EN MATIÈRE FISCALE

29 mars 2023

Par Charles Côté-De Lagrave

Le 24 février dernier, la Cour d’appel du Québec a rendu une décision en matière de rectification d’un contrat dans un contexte fiscal : Agence du revenu du Québec c. Samson 2023 QCCA 332.

Contexte

Monsieur Guy Samson (« M. Samson ») est promoteur immobilier[1]. À titre de promoteur immobilier, ce dernier investit dans des sociétés qui mènent des projets immobiliers[2]. Certains projets sont rentables et d’autres non[3].

Dans la catégorie des projets non-rentables se trouve le projet des Résidences du Collège CRP à Saint-Césaire qui est la propriété de Résidences du Collège C.R.P. Inc. (« C.R.P. ») dont M. Samson est actionnaire[4].  Malheureusement, le projet fera face à d’importantes embûches qui mettront C.R.P. dans une situation de précarité financière[5]. Cela mènera ultimement C.R.P. à devoir se mettre sous la protection de la Loi sur les arrangements des créanciers[6] pour procéder à son redressement[7].

Pour sécuriser le financement de C.R.P., M. Samson décide de vendre plusieurs immeubles appartenant à une autre société dont il est actionnaire : La Bourgarde St-Jean Inc. («Bourgarde»)[8]. Une fois que le financement de C.R.P. est sécurisé, la Cour supérieure libérera C.R.P. de la protection de la Loi sur les arrangements des créanciers [9].

Le résultat de cette série d’opérations final sera que, d’un côté, Bourgade aura engendré des gains en capital imposables par la vente de ses immeubles et, de l’autre côté, C.R.P. aura subi d’importantes pertes[10]. M. Samson constate donc la nécessité de mettre en place une stratégie pour optimiser fiscalement l’organisation et l’actionnariat des différentes sociétés[11].

La fiscaliste de M. Samson prépare un montage fiscal qui prévoit une série d’opérations devant se dérouler dans un ordre précis[12]. Le montage a pour objectif de mettre en place une structure permettant à M. Samson et à ses sociétés d’utiliser les pertes de C.R.P. pour réduire leur charge fiscale[13].

Sommairement, le montage cherche à faire bénéficier à M. Samson et à Bourgade d’une perte au titre d’un placement d’entreprise sur les actions de C.R.P. et de faire bénéficier à une seconde entreprise des pertes autres que les pertes en capital de C.R.P.[14]. Cette seconde entreprise résulte d’une fusion entre Bourgade et une société de placement dans laquelle C.R.P. a transféré l’ensemble de ses actifs et se dénommera Résidences du Collège CRP (2014) inc. (« C.R.P. 2014 »)[15]. Le résultat est que M. Samson et Bourgade demeurent actionnaires de C.R.P. alors que celle-ci est insolvable et n’exploite plus d’entreprise[16].

Dès lors, cela permet à M. Samson et Bourgade de réaliser une perte au titre d’un placement d’entreprise sur les actions de C.R.P. par le biais de l’exercice du choix prévu à l’article 50(1)b)iii) de la Loi de l’impôt sur le revenu[17] LIR ») qui a pour effet que M. Samson et Bourgade sont réputés avoir disposé de ces actions pour un produit nul et de les avoir réacquises immédiatement à un coût nul[18].

L’ordre prévu au montage fiscal est que l’exercice du choix sera le 30 novembre 2013[19]. Par la suite, le 11 décembre 2013, M. Samson et Bourgade vendront par convention (la « Convention ») leurs actions dans C.R.P. à C.R.P. 2014[20]. Finalement, C.R.P. sera liquidée et dissoute immédiatement après[21]. Dans la réalité, la Convention et les diverses résolutions corporatives sont signées le 4 avril 2014[22].

La problématique en cause dans le présent dossier ne vise que M. Samson. En effet, dans le cas de Bourgade, le montage a fonctionné puisque le choix de l’article 50(1)b)iii) LIR doit s’exercer à la fin de l’année fiscale du contribuable et l’année fiscale de Bourgade se termine bien le 30 novembre[23]. Cependant, dans le cas de M. Samson, puisque son année fiscale se termine le 31 décembre il ne pouvait pas exercer ce choix le 30 novembre[24]. De plus, parce qu’il a vendu ses actions dans C.R.P. le 11 décembre, ce choix ne pouvait non plus s’exercer le 31 décembre[25].

Lorsque M. Samson dépose sa déclaration de revenus pour l’année 2013, l’Agence du revenu du Canada (« ARC ») remet en question le bien-fondé du choix et de la perte d’entreprise déclarée en conséquence du fait de la problématique de la date d’exercice du choix[26].

À ce moment, M. Samson réalise l’erreur et modifiera la date de la Convention et des résolutions corporatives pour que tout ait lieu en 2014[27]. L’ARC refusera de reconnaître cette modification en l’absence d’un jugement qui reconnaît la modification[28]. De ce fait, M. Samson présentera une demande en jugement déclaratoire devant la Cour supérieure pour tenter d’obtenir la rectification de la Convention et des résolutions corporatives en modifiant leur date du 11 décembre 2013 par le 4 avril 2014[29]. L’Agence du revenu du Québec (« ARQ ») sera mise en cause et contestera la demande[30]. Quant à elle, l’ARC ne fera pas de représentation[31].

Jugement de première instance

Le juge en première instance, l’honorable Christian Immer, J.C.S., après avoir réitéré les principes d’interprétation contractuelle de l’arrêt Québec (Agence du revenu) c. Services Environnementaux AES inc.[32],  conclut que les deux conditions énoncées par la Cour suprême dans l’arrêt Groupe Jean Coutu (PJC) inc. c. Canada (Procureur général)[33] permettant la modification d’un contrat en vertu de l’article 1425 C.c.Q. ont été remplies[34]. Relativement à la première condition, le juge conclura que l’intention derrière le montage fiscal est claire et suffisamment précise : celle-ci avait pour objectif de permettre à M. Samson de faire le choix prévu à l’article 50(1)b)iii) LIR afin de réclamer une perte au titre d’un placement d’entreprise[35]. Puis, pour ce qui est de la deuxième condition, le juge conclut que si la Convention avait été datée après le 31 décembre 2013, M. Samson aurait été actionnaire de C.R.P. à la fin de son année financière et aurait alors satisfait une des exigences de l’article 50(1)b)iii) LIR[36].

Motifs d’appel

L’ARQ portera cette décision en appel aux motifs que M. Samson ne répond pas aux exigences de la première condition du test énoncé par la Cour suprême dans l’arrêt Jean Coutu puisque l’intention de bénéficier du choix de l’article 50(1)b)iii) LIR n’est qu’une intention générale d’obtenir une conséquence fiscale spécifique, car cette intention n’est pas accompagnée de prestations précises pour la réaliser[37]. Selon l’ARQ, les étapes nécessaires pour arriver à la conséquence fiscale souhaitée n’ont jamais été réfléchies ni convenues[38].

De plus, selon l’ARQ, en sus du choix de l’article 50(1)b)iii) LIR, les parties voulaient aussi comme avantage fiscal que C.R.P. 2014 bénéficie des pertes autres que les pertes en capital de C.R.P suivant la liquidation de celle-ci conformément à l’article 88(1) LIR[39]. Cependant, pour bénéficier de l’article 88(1) LIR il faut que C.R.P. 2014 possède au moins 90 % des actions de C.R.P. lors de la liquidation de celle-ci[40]. Il fallait donc que la Convention intervienne le 11 décembre 2013 puisque sa liquidation a commencé le 12 décembre 2013[41]. Donc, permettre la modification de la date de la Convention auraient pour effet de priver M. Samson et ses sociétés d’un autre avantage fiscal prévu par la planification de la fiscaliste[42]. Selon l’ARQ, cette contradiction aurait pour effet de démontrer que l’intention réelle de M. Samson était d’appliquer la Convention le 11 décembre 2013[43].

La norme d’intervention

Dans son jugement, la Cour d’appel commence en s’attardant à la norme d’intervention applicable à l’appel d’un jugement portant sur une demande en rectification d’un acte juridique[44]. Puisqu’une demande en rectification d’un acte juridique nécessite du juge de première instance qu’il tire deux conclusions, soit de déterminer la volonté commune des parties lors de la conclusion de l’acte puis d’évaluer si cette volonté commune se retrouve fidèlement exprimée dans l’acte, cela représente un exercice d’interprétation ce qui représente une question de fait ou mixte de fait et de droit[45]. Dès lors, la norme d’intervention est celle de l’erreur manifeste et déterminante[46].

Jugement en appel

Selon la Cour d’appel, le juge de première instance, en s’appuyant sur une preuve prépondérante, a eu raison de conclure que l’intention des parties, en envisageant les transactions, était de permettre à M. Samson de faire le choix en vertu de l’article 50(1) LIR[47]. Par ailleurs, la note fiscale prévoit clairement l’ordre des transactions soit l’exercice du choix en vertu de l’article 50(1) LIR avant la cession des actions et la dissolution de C.R.P.[48]. Dès lors, puisque l’exercice du choix de l’article 50(1) LIR n’était pas possible avant le 31 décembre 2023, la date de la Convention du 11 décembre 2013 n'était clairement pas l’intention des parties[49]. Le changement de date ne sert qu’à donner droit aux intentions des parties et respecte les prescriptions de l’arrêt Jean Coutu[50].

Finalement, quant au dernier argument de l’ARQ à l’effet que changer la date de la Convention ferait perdre à M. Samson et ses sociétés un autre avantage fiscal prévu par la planification fiscale, la Cour d’appel confirme que ce n’est pas au tribunal de droit commun de s’attarder aux conséquences fiscales du choix fait par le contribuable[51]. Si ces conséquences fiscales amènent l’ARQ à émettre de nouveaux avis de cotisation, ils pourront être contestés devant les tribunaux compétents[52].

Conclusion

Ce jugement de la Cour d’appel est un bon résumé des principes établis dans les affaires AES et Jean Coutu.

Comme dans l’affaire AES, la cour explique limiter son intervention à l’aspect droit civil du dossier et évite de se prononcer sur l’aspect fiscal qui ressort de la juridiction des tribunaux spécialisés[53]. Dans sa détermination des conséquences fiscales d’une opération juridique, le droit fiscal doit appliquer les règles de droit civil qui définissent la nature et les conséquences juridiques de ces opérations[54]. Le fondement d’une action en rectification d’un acte juridique se trouve dans les règles fondamentales du droit des obligations, telles que le principe du consensualisme[55].  Le contrat représente un accord de volonté ce qui mène à devoir séparer le negotium et l’instrumentum, c’est-à-dire la volonté commune versus la volonté déclarée[56].

Finalement, la cour appliquera le test élaboré dans l’arrêt Jean Coutu en portant une attention particulière sur le premier critère qui porte sur l’intention initiale précise des parties au moment de la conclusion du contrat et dont la réponse dépendra de la preuve au dossier.

[1] Samson c. Résidences du Collège CRP (2014) inc., 2021 QCCS 3166, au para. 47.

[2] Ibid.

[3] Ibid.

[4] Ibid., au para. 48.

[5] Ibid., au para. 50.

[6] (L.R.C. (1985), ch. C-36).

[7] Supra note 1, au para. 51.

[8] Ibid., aux paras. 52-54.

[9] Ibid., au para. 51.

[10] Ibid., au para. 55.

[11] Ibid., au para. 56.

[12] Agence du revenu du Québec c. Samson 2023 QCCA 332, au para. 4.

[13] Ibid.

[14] Ibid.

[15] Ibid.

[16] Ibid., au para. 5.

[17] (L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.)).

[18] Supra note 12, au para. 5.

[19] Ibid.

[20] Ibid.

[21] Ibid.

[22] Ibid., au para. 6.

[23] Ibid., au para. 7.

[24] Ibid.

[25] Ibid.

[26] Supra note 1, au para. 8.

[27] Ibid., au para. 10.

[28] Ibid.

[29] Ibid., au para. 11.

[30] Ibid., au para. 15.

[31] Ibid.

[32] 2013 CSC 65 [AES]

[33] 2016 CSC 55 [Jean Coutu]

[34] Supra note 1, au para. 98.

[35] Ibid., au para. 99.

[36] Ibid., au para. 100.

[37] Supra note 12, au para. 13.

[38] Ibid.

[39] Ibid., au para. 14.

[40] Ibid.

[41] Ibid.

[42] Ibid.

[43] Ibid.

[44] Ibid. au para. 16.

[45] Ibid.

[46] Ibid.

[47] Ibid., au para. 18.

[48] Ibid., au para. 19.

[49] Ibid.

[50] Ibid. au para. 20.

[51] Ibid., au para. 21.

[52] Ibid.

[53] Supra note 32, au para. 43.

[54] Ibid., aux paras. 45-46.

[55] Ibid., au para. 52.

[56] Ibid., au para. 32.