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Interrogatoires au préalable en matière fiscale : pourquoi pas?

11 février 2021

Par Jonathan Éthier

Ce serait une évidence de mentionner que le système de justice est dispendieux. Le résultat ultime d’un procès est toujours inconnu et nul avocat n’est devin. Le corolaire de cette âpre réalité entraîne que la résolution consensuelle des conflits judiciarisés s’illustre souvent comme la meilleure option d’un point de vue économique. Après tout, l'honorable Eugene P. Rossiter, juge en chef de la Cour canadienne de l’impôt, n'a pas manqué de souligner en 2017 : « […] in tax litigation, there is only one principle: money »[1] (nos soulignements).

La tenue d’interrogatoires au préalable s’avère une étape cruciale aux fins d’arriver à un règlement hors cour qui satisfasse l’ensemble des parties. C’est l’occasion de tester la performance, voire la crédibilité, des individus qui seront appelés à témoigner au mérite. Cet exercice permet de dévoiler par voie d’engagement tout élément de preuve qui n’était pas disponible auparavant, par exemple au stade de la vérification fiscale ou encore en opposition pour prendre les litiges fiscaux en exemple. Bref, un interrogatoire au préalable porte à peser le pour et le contre, à calculer le risque que représenteraient la tenue d’un véritable procès et à anticiper le sort d’un jugement éventuel au fond.

En litige fiscal au Québec, une partie peut procéder à un interrogatoire préalable, avant ou après production de la défense, sans égard au montant en litige. Également, outre les parties au litige pouvant être soumises à un interrogatoire au préalable, il est également possible pour une partie d’interroger toute autre personne avec son consentement (et celui de l’autre partie), ou encore sur autorisation d’un juge. L’interrogatoire au préalable d’une tierce partie au litige peut mettre en lumière des faits ou des informations décisives. Ultimement, c’est un outil d’intérêt vers la résolution extrajudiciaire d’un litige.

Récemment, dans l’affaire Chahal v. Quebec Revenue Agency (2020 QCCQ 3108), la Cour du Québec n’a pas manqué de souligner qu’il était de l’intention du législateur de privilégier la tenue d’interrogatoires préalables en matière fiscale. Dans cette affaire, la cotisation en litige traitait comme revenus non déclarés différents montants encaissés dans le compte de banque d’un contribuable. Le tribunal a accueilli la demande du contribuable visant à interroger les six personnes, tierces parties au litige, qui auraient été la source de ces encaissements. Considérant que les contribuables ont le fardeau de renverser la présomption de validité des cotisations de manière générale, il est essentiel que l’ensemble des informations utiles au soutien d’une contestation puisse être divulgué avant de fixer une cause à procès.

Ceci dit, il ressort de l’affaire Chahal que le droit d’interroger une tierce partie avant procès n’est pas un droit absolu. En effet, une partie souhaitant s’en prévaloir devra convaincre un juge de l’utilité de l’interrogatoire du tiers pour le cheminement de l’instance, voire de sa véritable nécessité dans certains cas. Par ailleurs, le tribunal dans l’affaire Chahal ne manque pas de dénoter que puisqu’il sera toujours possible de contraindre une tierce partie à témoigner à l’instruction, la nécessité de l’interrogatoire avant procès du tiers est en fait une nécessité relative. Dans la mesure où certains tiers détiendraient des informations décisives sur l’issue d’un litige, l’autorisation d’interroger un tiers avant procès devrait pouvoir être obtenue.

Un certain courant privilégiant la tenue d’interrogatoires préalables en matière fiscale s’ancre avec assurance. Plus particulièrement, considérant la pandémie et son effet perturbateur sur le processus judiciaire – notamment l’annulation des séances en personne de la Cour canadienne de l’impôt jusqu’au 12 février 2021 –, la tenue et la préparation d’interrogatoires préalables devrait faire partie des « outils » à mettre à profit par tout avocat pratiquant en litige fiscal aux fins de la résolution extrajudiciaire d’un différend avec les autorités fiscales.

 

[1] Hon. Eugene ROSSITER, Hon. Henry VISSER, Hon. Wyman WEBB, Alexandra BROWN, and H. Annette EVANS, "Judges' Panel," in Report of the Proceedings of the 69th Tax Conference, 2017 Conference Report (Toronto: Canadian Tax Foundation), 2018.


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