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Comment ouvrir la boîte fiscale de Pandore

18 janvier 2021

Par Jonathan Éthier

Lorsqu’une personne doit des sommes aux autorités fiscales, il pourrait être périlleux pour celle-ci de tenter de soustraire ses actifs d’importance de son patrimoine personnel (ex : une maison, une voiture de luxe) en les transférant à un proche (ex : son conjoint, un enfant). Ce genre d’opération pour mettre des biens à l’abri des autorités fiscales n’est pas sans risque pour la personne recevant les actifs.

En effet, l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu[1]L.I.R. ») prévoit que lorsqu’un débiteur fiscal transfère des biens (ex : des liquidités, des actifs) dans le cadre d’une opération comprenant un lien de dépendance, la personne recevant les biens pourra être solidairement responsable de la dette de l’auteur du transfert avec celui-ci, voire des intérêts payables. Un régime analogue existe en droit fiscal québécois[2]. Au fédéral, il sera loisible au ministre de cotiser le bénéficiaire du transfert en tout temps, aucune prescription n’étant applicable en pareilles circonstances[3]. Ultimement, la personne ayant reçu les biens pourra faire l'objet d'une cotisation pour le moindre de la valeur des biens reçus et de la dette du débiteur fiscal.

Ceci dit, encore faut-il que la dette fiscale de l’auteur du transfert ait été cristallisée au moment du transfert. Autrement, le ministre ne pourrait valablement émettre un avis de cotisation à l’endroit de la personne ayant reçu des biens puisqu’elle les aurait obtenus d’une personne dont la responsabilité fiscale n’existe pas encore.

  • L’affaire Colitto

Récemment en avril 2020, dans Colitto[4], la Cour d’appel fédérale est venue clarifier à quel moment peut prendre naissance la dette fiscale d’un administrateur d’une société dans le contexte de cotisations émises à l’endroit de sa conjointe (la « Contribuable ») en vertu de l’article 160 L.I.R.

En l’espèce, la Contribuable avait reçu en 2008 la moitié de deux immeubles d’une valeur totale d’environ 230 000$ pour la modique somme de 4$. Les biens lui avaient été transférés de la part de son conjoint qui était administrateur d’une société. La société en question avait fait défaut de remettre ses déductions à la source (« DAS ») au ministre pour la période de février à août 2008. Presque deux ans après avoir reçu la moitié des immeubles, le conjoint de la Contribuable avait fait l’objet d’une cotisation personnelle pour les DAS impayées de la société en vertu du paragraphe 227.1(1) L.I.R. La procédure légale préalable à telle cotisation de l’administrateur exige, règle générale, que soit enregistré un certificat à la Cour fédérale précisant la somme pour laquelle la société est responsable (ce qui avait eu lieu en août 2009 dans cette affaire) et que soit constaté le défaut d’exécution à l’égard des sommes dues par la société (en janvier 2011 dans cette affaire).

En première instance, la Cour canadienne de l’impôt était d’avis que la responsabilité du conjoint de la Contribuable (pour les DAS de la société) ne pouvait avoir pris naissance tant que les modalités susmentionnées n’avaient été satisfaites, soit d’une part l’enregistrement d’un certificat auprès de la Cour fédérale et, d’autre part, la présence d’un défaut d’exécution total ou partiel à l’égard de la dette de la société[5]. C’est ainsi que le tribunal avait décidé que la responsabilité de l’administrateur à l’égard de la dette fiscale corporative avait été cristallisée en janvier 2011 et non en 2008, soit l’année du transfert immobilier et de l’omission par la société de verser des DAS. La Contribuable a eu gain de cause en première instance et les cotisations ont été annulées.

La Cour d’appel fédérale a toutefois annulé cette décision, étant plutôt d’avis que les DAS non versées étaient des sommes qu’il incombait à l’administrateur de payer au cours de l’année d’imposition 2008 ou pour cette année. Autrement dit, la responsabilité fiscale du conjoint de la Contribuable avait été cristallisée dès 2008 (et non ultérieurement), soit à l’année d’imposition où les transferts d’immeubles avaient eu lieu. Bref, que la législation fiscale assujettisse le « déclenchement » de la responsabilité d’un administrateur au respect de certaines conditions administratives préalables ne saurait pour autant dénaturer le moment où la responsabilité personnelle en question prend naissance ou se cristallise.

Dans tous les cas, pour les contribuables flairant la soupe chaude avec les autorités fiscales, il pourrait être approprié de consulter un professionnel avant de transférer leurs avoirs à un proche, que ce soit par donation ou par une vente à prix faible. Il pourrait s’agir de véritables cadeaux empoisonnés.

How to open Pandora’s tax box, LexisNexis – The Lawyer’s Daily, janvier 2021.

[1] Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) (la « L.I.R. »).

[2] Cf. Article 14.4 de la Loi sur l'administration fiscale, L.R.Q., c. A-6.002 et article 1034 de la Loi sur les impôts, RLRQ, c. I-3.

[3] Cf. Paragraphe 160(2) L.I.R.

[4] Canada c. Colitto, 2020 CAF 70 (demande d’autorisation d’appel rejetée : Caroline Colitto c. Sa Majesté la Reine, 2020 CanLII 68943 (CSC).

[5] Cf. Alinéa 227.1(2)a) L.I.R.


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