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Rejet d’appel et procédure abusive en matière fiscale

14 janvier 2021

Par Frédéric Delisle

En date du 3 décembre 2020, l’honorable Éric Dufour de la Cour du Québec a rendu une décision fort intéressante quant à une demande de rejet d’appel et de procédure abusive en matière fiscale, soit la décision TricomCanada Inc. c. Agence du revenu du Québec, 2020 QCCQ 8827 (le texte de la décision peut être consulté ici).

Cette courte décision offre un rappel succinct des règles applicables en matière de « préclusion » ainsi qu’en matière d’abus de procédure.

En l’instance, la contribuable faisait appel de cotisations émises à son endroit par l’Agence en matière de TVQ. Des cotisations similaires avaient été émises en matière de TPS. Ces dernières avaient été portées en appel devant la Cour canadienne de l’impôt et, suite à l’audition de l’appel, les cotisations en matière de TPS avaient été maintenues.

Dans le cadre de ses propres procédures, et à divers moments dans le cadre des dossiers, la contribuable avait reconnu que les cotisations en matière de TPS et de TVQ trouvaient les mêmes fondements, soulevaient les mêmes questions de faits et de droit, et que, globalement, ses arguments à leur encontre étaient similaires, mutatis mutandis.

Malgré la décision défavorable rendue en Cour canadienne de l’impôt, la contribuable décida de poursuivre ses procédures devant la Cour du Québec en affirmant :

« … qu’une preuve différente sera présentée au fond qui n’a pu l’être devant l’instance fédérale, critiquant au passage les mauvais choix stratégiques de l’avocat qui l’y représentait. »

L’Agence, quant à elle, demandait le rejet de l’appel aux motifs que les questions soulevées étaient essentiellement les mêmes que celles tranchées définitivement par la Cour canadienne de l’impôt et que le maintien de l’appel devant la Cour du Québec constituait un abus de procédure.

Dans le cadre de sa décision, la Cour prend soin de bien examiner les critères applicables de la « préclusion », qui sous-entend que trois conditions sont réunies :

  1. La même question a été décidée dans une procédure antérieure;
  2. La décision judiciaire antérieure est définitive;
  3. Les parties sont les mêmes dans les deux instances.

La Cour note ensuite que lorsque la doctrine de « préclusion » ne peut être appliquée, notamment en l’absence de l’une des conditions précitées (en l’espèce les parties n’étaient pas les mêmes puisque devant la Cour canadienne de l’impôt la Contribuable s’opposait à Sa Majesté la Reine), la doctrine de la procédure abusive peut prendre le relai:

« ..celle-ci [la doctrine de l’abus de procédure] fait intervenir le pouvoir du tribunal d’empêcher que sa procédure soit utilisée abusivement, d’une manière qui aurait pour effet de discréditer l’administration de la justice. »

Par ailleurs, la Cour ajoute :

  • qu’elle jouit d’un pouvoir discrétionnaire d’empêcher qu’un justiciable abuse de sa procédure en remettant en cause un jugement définitif, et que « [c]e qui précède n’affecte en rien le fait que la Cour du Québec ne soit pas liée par une décision de la Cour canadienne de l’impôt, et vice versa, la règle du stare decisis ne s’appliquant pas entre ces deux juridictions »;
  • «… même introduite à bon endroit, une procédure peut devenir abusive si elle est maintenue artificiellement en vie puisque vouée à l’échec pour donner suite à la survenance d’évènements comme, en l’occurrence, un jugement final de la Cour canadienne de l’impôt ».

Les arguments invoqués par la contribuable quant à la nécessité de poursuivre sa procédure devant la Cour du Québec étaient essentiellement liés à sa perception des déficiences dans les représentations effectuées à son bénéfice par son ancien représentant. Or, la Cour souligne :

34 Il est vrai que les tribunaux font preuve de compassion à l’endroit d’un justiciable mal représenté et évitent de lui faire supporter « l’erreur de l’avocat».

35 Toutefois, ici, Tricomcanada est celle qui a mandaté son avocat d’alors. Elle était à même de savoir si des témoins existaient et étaient disponibles. Blâmer son ancien avocat pour ses choix de plaideur, qu’elle dit douteux, revient à lui permettre un essai surnuméraire pour réaliser un jeu, un second kick at the can, par le simple congédiement de son ancien mandataire. Une telle façon de voir les choses, si elle était avalisée par le Tribunal, deviendrait vite une stratégie disponible à toute partie placée dans les mêmes circonstances. Il suffirait de se désoler ex post facto de la représentation déficiente d’une avocat.e pour attaquer les conclusions factuelles d’une cour de justice ou colmater les brèches pointées dans un premier jugement définitif. Ceci irait à l’encontre des règles de procédures énoncées plus haut qui concernent, notamment, le caractère définitif des jugements, leur stabilité, la crédibilité du système de justice et l’économie des ressources judiciaires.

En plus d’offrir un survol rapide des règles applicables en matière de rejet d’appel et de procédure abusive dans le domaine fiscal, cette décision sert également d’avertissement quant à la nécessité d’une pleine collaboration, cohérente et transparente, entre un contribuable qui conteste des cotisations émises à son endroit et son représentant.

Si vous faites face à des cotisations et que vous désirez vous assurer de bien élaborer tous les arguments en votre faveur, n’hésitez pas à communiquer avec l’un des membres de l’équipe fiscale de Spiegel Sohmer.

 


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