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Droit fiscal, Litige

Déficit et pandémie : comment les coffres seront-ils renfloués ?

14 août 2020

Par Jonathan Éthier et David H. Sohmer

L'ampleur du déficit encouru pour financer les programmes liés à COVID-19 est écrasante. La Prestation canadienne d’urgence (la « PCU ») a déjà coûté une somme avoisinant les 35,8 milliards de dollars à la suite des 13,77 millions de demandes reçues[1]. Considérant que la diminution des recettes fiscales va alimenter le gouffre, il n'est pas prématuré d'envisager les mesures fiscales qui pourraient être adoptées pour renflouer le trésor public.

En 2015, le gouvernement libéral a démontré sa volonté de cibler les plus fortunés en proposant l'adoption d'un nouveau taux maximal d'imposition des personnes physiques de 33 % sur le revenu imposable supérieur à 200 000$[2], une cinquième fourchette d’imposition à l’époque. Deux ans plus tard, en 2017, 1 % des déclarants canadiens se trouvaient dans cette tranche d'imposition et l'impôt payé par eux représentait 26 % des recettes de l'impôt fédéral sur le revenu des particuliers (36,3 milliards de dollars)[3]. Le gouvernement pourrait être tenté de créer un sixième niveau d'imposition visant directement les membres les plus riches de la société. La pandémie a supprimé les contraintes politiques de sorte qu'un taux d'imposition fédéral de, pour fins de discussion, 40 % applicable sur la partie du revenu imposable dépassant 500 000 dollars peut être envisagé.

Le gouvernement Harper avait introduit une réduction de la TPS dans un effort de stimulation économique et que les libéraux étaient loin d’être en faveur de la mesure[4]. La TPS a été réduite de 7 % à 6 % le 1er juillet 2006 et de 6 % à 5 % le 1er janvier 2008. Pour la période 2018-2019, les recettes de la TPS ont représenté 11,5 % du total des recettes fédérales, soit environ 38,2 milliards de dollars[5]. Ramener le taux à 7% serait cohérent avec les objections des libéraux aux réductions de Harper.

Pendant près de 20 ans, le taux d'inclusion des gains en capital a été de 50%. Le professeur David Duff a fait valoir qu'une faible inflation et que des réductions substantielles de l'impôt sur les sociétés diluent les principaux arguments en faveur d'une imposition partielle des gains en capital, à savoir, réduire l'impact de l'impôt sur les gains inflationnistes et prendre en compte les impôts sur les sociétés qui sont assumés par les actionnaires[6]. Dans un contexte pré-pandémique, il a fait valoir qu'un taux d'inclusion de 80% serait approprié[7]. Le coût de l'inclusion partielle devrait s'élever à 21,645 milliards de dollars en 2020[8]. L’auteur John Lester signalait en 2019 que « [m]easures related to the taxation of capital income […] account for more than half of the total tax revenue forgone »[9]. Le taux d'inclusion pourrait être porté à 75%, comme c’était le cas de 1990 à 1999. Il est davantage difficile de savoir si la plus-value accumulée sera protégée.

Le coût lié à la non-imposition des gains en capital sur les résidences principales est également important. Le ministère des Finances a prévu qu’il en coûtera 5,87 milliards de dollars en 2020[10]. Les contribuables les plus riches peuvent acquérir des résidences plus chères et bénéficier ainsi de l'exonération de manière disproportionnée[11]. La partie exonérée de la plus-value pourrait être plafonnée au moindre du gain en capital réel et d’un montant fixe.

La moralité de la planification fiscale visant à atténuer l'impact des augmentations d'impôt prévues est une question sur laquelle la communauté fiscale devra se pencher.

 

 

 

[1] GOUVERNEMENT DU CANADA, Chiffres concernant la Prestation canadienne d’urgence, 15 mai 2020.

[2] GOUVERNEMENT DU CANADA, Le gouvernement du Canada annonce une baisse d’impôt pour renforcer la classe moyenne, 7 décembre 2015.

[3] MINISTÈRE DES FINANCES DU CANADA, Rapport sur les dépenses fiscales fédérales : Concepts, estimations et évaluations (2020), page 44. En 2016, un pour cent (1%) des déclarants canadiens ont été assujettis à la dernière fourchette d’imposition et l’impôt payé par ceux-ci a représenté 24% des recettes fiscales dégagées de l’impôt fédéral sur le revenu des particuliers, soit 30,8 milliards de dollars (MINISTÈRE DES FINANCES DU CANADA, Rapport sur les dépenses fiscales fédérales : Concepts, estimations et évaluations (2019), page 40).

[4] Cf. Philip Demont, « Ottawa's GST cut hiked deficit by as much as $10B », CBC News, 19 juin 2009 (mis à jour en date du 22 juin 2009).

[5] MINISTÈRE DES FINANCES DU CANADA, Rapport financier annuel du gouvernement du Canada (exercice 2019-2019), page 12.

[6] Cf. David DUFF, « Time for Liberals to limit tax breaks that favour highest earners », The Globe and Mail, 6 février 2017 (mis à jour en date du 13 avril 2017).

[7] Id.

[8] MINISTÈRE DES FINANCES DU CANADA, Rapport sur les dépenses fiscales fédérales : Concepts, estimations et évaluations (2020), page 213.

[9] John LESTER, « Tax Expenditures in Canada- Historical Estimates and Analysis », dans Finances of the Nation feature (2019) 67:3 Canadian Tax Journal 755-73.

[10] MINISTÈRE DES FINANCES DU CANADA, Rapport sur les dépenses fiscales fédérales : Concepts, estimations et évaluations (2020), page 18.

[11] La non-imposition des loyers imputés sur les biens occupés par leurs propriétaires bénéficie également de manière disproportionnée aux personnes aisées. Le loyer imputé est le montant qu'il en coûterait pour louer une propriété autrement occupée par son propriétaire. Plus la propriété est chère, plus le loyer imputé est élevé. Le rapport Carter proposait de taxer les loyers imputés, mais la proposition a été rejetée. Il est raisonnable de supposer que la proposition continue de se heurter à des obstacles politiques insurmontables.