9 octobre 2024
28 janvier 2020
Par Barry Landy
Le 12 mars 2018, j'avais publié un court article sur le blog de Spiegel Sohmer dans lequel j'ai précisé :
La récente décision de la Cour d'appel du Québec dans l'affaire Karam c. Succession de Yared est des plus importantes pour les conjoints qui sont ou pourraient être assujettis à la loi québécoise sur le patrimoine familial. Cette décision permet, dans certains cas, à des conjoints d'être propriétaire de ce qui serait autrement considéré comme un bien du patrimoine familial par le biais d'une fiducie entre vifs, évitant ainsi la division prescrite par la loi des actifs familiaux lors d'un décès.
Les faits sont relativement simples. Les Karam ont déménagé au Québec et ont fait l'objet des règles visant le patrimoine familial en 2011. Ils ont créé une fiducie entre vifs afin de protéger leurs actifs et peu après, la fiducie est devenue propriétaire d'un immeuble multifonctionnel, dont une partie servait de résidence familiale. Madame et les quatre enfants du couple étaient les bénéficiaires de la fiducie, et Monsieur en était le fiduciaire. Monsieur était également nommé comme « électeur », avec les pouvoirs discrétionnaires d'élire de nouveaux bénéficiaires, d'en destituer ou d'établir la valeur de la part de chaque bénéficiaire. (Monsieur a éventuellement signé un autre document renonçant à ces droits et pouvoirs.) Lorsque Madame est décédée en 2015, sa succession a intenté une action et réclamé la moitié de la valeur de la résidence familiale, comme si Monsieur l'avait achetée et détenue personnellement. Monsieur a contesté et soutenu que ni la fiducie ni les quatre (4) enfants, en tant que seuls bénéficiaires restants de la fiducie, ne font l'objet d'une réclamation en matière de patrimoine familial. Lors du procès, il a témoigné que lorsque la fiducie a été créée, le but était de protéger les actifs, principalement pour le bénéfice des enfants et non pas pour éviter l'application des règles relatives au patrimoine familial. Son témoignage n'a pas été contredit. La Cour d'appel a déclaré qu'il n'y avait pas lieu de prendre la propriété en question en considération afin de déterminer la valeur d'une réclamation en matière de patrimoine familiale faite par les héritiers de Madame.
Malheureusement pour Monsieur Karam, la Cour suprême du Canada en a jugé autrement. Dans une décision rendue le 12 décembre 2019, la Cour a déclaré que les résidences familiales détenues en fiducie ne sont pas, par principe, exclues de la composition du patrimoine familial, puisqu'en mentionnant les droits qui confèrent l'usage d'une résidence familiale, le législateur a voulu inclure dans le patrimoine familial le type d’arrangement en matière d’habitation où les époux, sans être les propriétaires en titre, exercent néanmoins le contrôle sur la résidence familiale. Ce qui importe, selon le tribunal, est d'examiner les circonstances et de déterminer le niveau de contrôle exercé par l'un ou l'autre des époux à l'égard de la résidence.
Considérons donc le scénario suivant : supposons qu'il y a un deuxième mariage. Le mari et la femme ont des enfants de leurs premiers mariages. Un ami du mari établit une fiducie et en devient le seul fiduciaire. La fiducie acquiert un condominium. Les modalités de la fiducie prévoient que les bénéficiaires, soit le mari et la femme, ont les mêmes droits d'utiliser le condominium au cours de leur vie. Lors du décès du mari ou de la femme, le survivant ou la survivante a leur droit de continuer à l'utiliser jusqu'à son décès. Lors du décès du dernier des conjoints, le capital de la fiducie est transféré automatiquement aux enfants du mari.
Contrairement aux faits dans l'arrêt Yared, dans le présent exemple, il n'est pas immédiatement apparent ni n'est-il prévu que le mari exerce en fait un contrôle quelconque sur la résidence familiale.
Par conséquent, il se pourrait bien qu'une fiducie de cette nature puisse être entièrement viable et légitime, surtout lorsqu'elle est motivée, par exemple, par des contraintes de protection de l'actif.
Bien que le tribunal jouisse d'une certaine discrétion pour traiter d'inégalités potentielles créées en vertu d'une fiducie, dans le cas ci-dessus, ces inégalités ne sont pas clairement définies.
En conclusion, nonobstant la décision de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Yared, on peut certes soutenir que lorsque les circonstances s'y prêtent, une fiducie bien structurée pourrait s'avérer utile pour détenir un immeuble résidentiel.