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Droit fiscal, Litige

Quand un montage fiscal est trop agressif, il peut constituer un abus et être annulé ab initio

26 novembre 2018

Par Laurent Debrun

Développements Iberville ltée c. Agence du revenu du Québec, 2018 QCCA 1886, http://canlii.ca/t/hw213

Entre 2004 et 2006, Développements Iberville ltée (« Développements ») procédait à une série de transactions concernant la vente de plusieurs centres commerciaux situés au Québec ce qui donnait lieu à des gains en capital de près de 730 millions de dollars alors que la récupération de la dépréciation s’élevait à près de 70 millions de dollars (« les Gains »).

Dans le cadre d’une planification fiscale orchestrée par un grand cabinet comptable, Développements eut recours à une stratégie connue comme le Q-YES, lui permettant d’éviter le paiement de la quasi-intégralité des taxes dues à Revenu Québec à l’égard des Gains. En utilisant des dates de fin d’année fiscale différentes pour les sociétés concernées, Développements avait transféré l’immobilier par roulement vers des sociétés en commandite qu’il contrôlait, conformément à l’article 614 de la Loi sur les impôts de façon à différer l’imposition des Gains. Développements transférait alors ces unités détenues par les sociétés en commandite à deux sociétés régies par la Loi canadienne sur les sociétés par actions suite à un autre roulement effectué selon l’article 518 de la loi sur les impôts de sorte, qu’encore une fois, l’imposition des Gains était différée.

Sylvan Adams, seul administrateur des deux sociétés, choisit le 28 février 2006 pour la fin de l’exercice fiscal des sociétés fédérales et ontariennes, mais le 19 mars 2006 pour ce qui est du Québec. Le 1er mars 2006, les deux sociétés canadiennes acquéraient les unités des deux sociétés en commandite ontariennes de façon à transférer toutes leurs activités vers l’Ontario. Pour l’exercice se terminant le 28 février 2006, les deux sociétés canadiennes déclarèrent aux fiscs canadien et ontarien un gain nul. Suite à une vérification, Revenu Québec émit des avis de cotisation à l’égard de l’ensemble des transactions et ce, en appliquant les règles d’évitement prévues dans la Loi sur les impôts.

En appel, la Cour d’appel devait décider si le premier juge s’est bien dirigé en droit dans l’application des trois critères permettant à Revenu Québec d’invoquer les règles d’évitement :

  1. Un avantage fiscal découlant de la transaction attaquée;
  2. La transaction en est une visant l’évitement fiscal ce qui signifie qu’elle n’a pas été effectuée dans un but commercial réel mais plutôt uniquement pour générer un avantage fiscal; et
  3. La transaction d’évitement est abusive, ce qui signifie que l’avantage fiscal n’a aucune assise et bat en brèche l’objet, l’esprit et le but des dispositions fiscales invoquées par le contribuable.

La Cour note que M. Adams avait été avisé des risques de cette planification. Revenu Québec a le fardeau de faire la preuve que l’évitement était abusif au sens de la loi. Pour ce faire, le tribunal doit étudier et comprendre l’objet, l’esprit et le but de la disposition servant d’assise à la transaction fiscale attaquée. Si la cour en vient à la conclusion que l’objet de la loi se trouve détruit par la transaction d’évitement, la conclusion d’abus s’impose.

Les règlements adoptés en vertu de la Loi sur les impôts invoqués par Développements servent à créer une règle d’allocation du revenu pour les sociétés ayant des opérations dans plusieurs provinces. Le but de la loi est d’allouer tous les revenus entre les provinces dans lesquelles une société exerce ses activités. L’objectif est d’assurer une taxation équitable de sorte qu’en aucun cas, plus de 100% des revenus totaux soient taxés mais également afin qu’une société ne puisse éviter de payer des impôts sur 100% de ses revenus du seul fait qu’elle opère dans plusieurs provinces. Alors qu’il est permis d’avoir recours à l’article 518 de la Loi sur les impôts pour différer la date d’imposition et de paiement d’un impôt, cette règle ne peut être utilisée pour éviter de payer cet impôt.

La conclusion de la Cour d’appel est claire :

« The Appellants (Développements) transferred their business to Ontario knowing that because of the creation of two fiscal periods, tax would not be paid there. The Appellants knew that no tax would be payable in Quebec because “theoretically” it was payable in Ontario upon application of the allocation formula, but because of the different fiscal periods, no tax would ultimately be paid in Ontario ».

Les dispositions permettant un roulement furent donc utilisées pour éviter le paiement d’un impôt et non pas dans le but d’en différer le paiement. Ceci, en soi, constitue un abus allant à l’encontre de l’objet et de l’esprit des dispositions de la Loi sur les impôts.

 

Cette publication vise à donner des renseignements généraux sur des questions et des développements d’ordre juridique à la date indiquée. Les renseignements en cause ne sont pas des avis juridiques et ne doivent pas être traités ni invoqués comme tels.

 

 

 


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