29 août 2024
5 janvier 2017
Par Barry Landy
Combien de fois avons-nous entendu cette menace? Est-ce réaliste?
La récente décision de la Cour Supérieure, Ashegh c. Succession Ashegh 2016 QCCS 6157, m'invite à réfléchir sur cette question.
Voici les faits : Monsieur et Madame Ashegh se sont mariés en mai 1995 en Allemagne, et ont eu deux enfants, soit Nathalie et Mélanie.
En 2012, des rumeurs ont commencé à circuler selon lesquelles Madame avait été infidèle, plus particulièrement qu'elle n'était pas vierge la nuit de noces.
En août 2013, Monsieur Ashegh est hospitalisé et sa santé est fragile. Vu l'infidélité alléguée de sa conjointe, il décide, avec l'insistance de sa sœur Roza, de modifier son testament pour déshériter sa conjointe en faveur de ses enfants. Dans son nouveau testament, il nomme sa sœur Roza comme légataire universel et il décède environ un mois plus tard.
Lors de la réunion avec le notaire, Monsieur Ashegh l’instruit de corriger le projet de testament qu’il avait préparé afin de désigner sa sœur Roza comme légataire universelle, plutôt que ses enfants. Selon le témoignage du notaire, Monsieur Ashegh avait initialement prévu laisser sa succession à sa sœur Roza, mais si elle n'était plus là, de mettre les noms de ses autres sœurs, puisqu'il ne voulait pas que sa conjointe gère l'argent de ses enfants. Le notaire a témoigné « qu'il voulait que sa sœur donne l'argent aux enfants » et « qu'il avait confiance qu'elle [Roza] donnerait l'argent aux enfants ».
Parallèlement à ces événements, Monsieur Ashegh a eu une conversation téléphonique avec sa conjointe le 28 août 2013, laquelle a été clandestinement enregistrée par Roza. La conversation relate la vie privée et intime de Monsieur et de Madame. Elle consiste aussi en un récit précis des prétendues infidélités de Madame. Aux funérailles de Monsieur Ashegh, organisées par sa conjointe, Roza fait écouter l'enregistrement, causant ainsi un énorme scandale.
Madame Ashegh a intenté une poursuite pour annuler le testament fait par son défunt conjoint avant son décès, et exige des dommages pour diffamation. Son principal motif pour l'annulation consistait en l'influence indue de la sœur Roza, qui s'est occupée du défunt à l'hôpital durant sa phase terminale, puisque Madame travaillait à temps plein pour subvenir aux besoins de la famille. Roza était également responsable de trouver le notaire qui a préparé le nouveau testament, elle a emmené son frère voir le notaire et a accru ses soupçons concernant la prétendue infidélité de Madame Ashegh.
Le tribunal a refusé d'annuler le testament en raison d'une l'influence indue, la preuve démontrant que Monsieur Ashegh avait déclaré à un ami de travail son intention de déshériter sa conjointe en raison de sa prétendue infidélité avant, semble-t-il, que sa sœur Roza l'aurait convaincu de la faire.
Or, le tribunal décide quand même d’annuler le testament sur la base d'une erreur de droit commis par le défunt : selon le tribunal, Monsieur Ashegh a fait son nouveau testament croyant à tort que ses actifs seraient ultimement dévolus à ses enfants. Or, le testament ne reflétait pas cette intention, et donc le testament pouvait être annulé pour cause d’erreur. Il s'agit d'une approche quelque peu novatrice qui mérite une plus ample réflexion.
Le Code civil ne prévoit pas spécifiquement des causes de nullité de testaments outre pour des raisons de formalité. Un testament est un acte unilatéral, et non pas un contrat. Toutefois, le Code civil comprend diverses règles générales visant les actes juridiques en général, et on a soutenu que les causes de nullité visant les contrats visent également les testaments. Si cela est le cas, le consentement du testateur lors de la rédaction, un testament pourrait être entaché d'une erreur, mais cette erreur doit être liée à la nature du contrat, à l'objet de la prestation ou à tout élément essentiel ayant résulté en ce consentement. Si ce type d'erreur est présent, un testament pourrait être annulé.
Comment cela s'applique-t-il aux faits dans Ashegh? Le tribunal considère que l'intention essentielle de Monsieur Ashegh était de laisser sa succession à ses enfants et non pas à sa sœur Roza. Toutefois, cette intention n'avait pas été exprimée correctement par le professionnel du droit lors de la rédaction du testament. En tout respect, il me semble que selon les faits rapportés dans le jugement, cette conclusion paraît discutable.
En premier lieu, le testament en lui-même est la première et la meilleure expression des vœux du testateur. Il n'y a aucune ambiguïté dans le testament à cet égard. Le testateur a laissé tous ses actifs à sa sœur Roza.
En second lieu, le notaire n'a pas témoigné que les actifs avaient été laissés à la sœur à charge de les donner ensuite aux enfants. Le testament est muet à cet égard. Le notaire a plutôt témoigné « qu'il voulait que sa sœur donne l'argent aux enfants » et « qu'il avait confiance qu'elle [Roza] donnerait l'argent aux enfants ». Monsieur Ashegh n'a peut-être pas compris les conséquences juridiques de ce qu'il signait. Toutefois, il est difficile de dire qu'il ait fait une erreur : il laissait ses actifs à sa sœur puisqu'il croyait qu'elle donnerait l'argent aux enfants. Ce type de croyance motive parfois conjoints et conjointes à se laisser leurs successions respectives, dans l'espoir que le dernier à décéder laissera tout aux enfants.
La cause Ashegh semble ouvrir la porte à la possibilité que des enfants déshérités par le deuxième conjoint survivant puissent soutenir que le testament du premier conjoint à décéder devrait être annulé pour cause d'erreur. Il me semble qu'il s'agit d'une boîte de Pandore qui devrait être maintenue bien fermée.
Dernière remarque : la poursuite en diffamation intentée par Madame Ashegh contre Roza a été accueillie et le tribunal lui a accordé des dommages de 25 000 $.