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Une erreur inexcusable d’un soumissionnaire ne l’empêche pas de réclamer un prix supérieur du donneur d’ouvrage

3 juillet 2019

Par Laurent Debrun

Construction N.R.C. inc. c Loiselle inc. et al. 2019 QCCS 1440 (L’honorable Chantal Lamarche)

 

La ville de Salaberry de Valleyfield retient les services d’une firme d’ingénieurs CIMA pour la préparation de plans et devis et l’octroi des soumissions. CIMA retient la plus basse soumission, celle de la défenderesse Loiselle. Loiselle obtient donc le contrat pour la construction du boulevard Industriel à titre d’entrepreneur général. Une partie des travaux comprend l’enfouissement de conduits à travers lesquels Hydro-Québec et Bell passent leurs câbles.

Loiselle octroie alors à la demanderesse NRC le sous-contrat pour l’enfouissement des conduits. Rapidement un différend survient quant à l’interprétation du devis quant à l’unité de mesure à partir de laquelle le prix de l’installation des conduits est basé; alors que le soumissionnaire calcule par mètre linéaire conduit, la ville considère que le prix proposé dans l’appel d’offres et accepté par le soumissionnaire serait par mètre linéaire de massif et non de conduit. La différence de prix est conséquente. Le soumissionnaire accepte de procéder avec les travaux sous protêt, réservant son droit de réclamer du donneur d’ouvrage, la ville, la différence de prix.

Le tribunal doit interpréter le contrat car une partie prétend qu’il est ambigu. Une ambiguïté peut se retrouver même face à un texte clair. Dès qu’il y a ambiguïté, le contrat est soumis aux règles générales d’interprétation. La cour rejette l’argument du plus bas soumissionnaire comme quoi les documents d’appel d’offres sont ambigus. L’unité de mesure pour calculer le prix dans l’appel d’offres n’est pas celle avancée par le soumissionnaire mais bien celle prônée par la Ville et CIMA. La soumission fut préparée sans consulter les plans; qui plus est, ceux qui ont préparé la soumission ne sont pas les mêmes personnes que celles qui ont étudié les documents de soumission.

Dès que le plus bas soumissionnaire découvre une importante différence avec le prix des autres soumissionnaires, il consulte les plans et se rend compte de son erreur. Ceci démontre donc pour la cour que les documents étaient limpides. Mais même si le tribunal conclut que ce soumissionnaire a commis une erreur inexcusable lors du dépôt de sa soumission, le tribunal va décider qu’ultimement la ville et CIMA ont transgressé leur obligation de bonne foi par réticence dolosive. Pourquoi?

Car si les erreurs inexcusables ne peuvent être le fondement d’un vice de consentement, cette affirmation doit être nuancée lorsque le co-contractant n’est pas de bonne foi au moment de la formation du contrat, par exemple en surprenant l’autre partie ou en omettant de l’informer adéquatement. C’est la réticence dolosive. Omettre de dévoiler au plus bas soumissionnaire l’existence d’une erreur matérielle dans sa soumission peut constituer une faute. Dans l’arrêt Fédération des caisses populaires Desjardins du Québec c, Services informatiques décisionOne 2004 RJQ 69 la cour d’appel avait décidé que celui qui lance un appel d’offres avait l’obligation d’informer le soumissionnaire des renseignements qu’elle avait obtenus à l’effet que le partenariat avec un tiers sur lequel reposait la viabilité de l’offre du plus bas soumissionnaire n’aurait jamais lieu de sorte que cette soumission était impossible à exécuter. Plutôt que de laisser ce soumissionnaire se lancer dans une aventure certaine de lui causer des dommages, l’autre partie se devait de l’aviser avant d’accepter sa soumission.

La mauvaise fois lors de l’acceptation de la soumission empêche donc la formation d’un contrat susceptible d’exécution. Cette qualification du comportement du donneur d’ouvrage justifiait une fin de non-recevoir à une action en recouvrement de la différence du prix entre le contrat octroyé et celui que le donneur d’ouvrage dans Desjardins fut obligé d’accorder à un tiers. Les tribunaux ne permettront pas à une personne de tirer avantage d’un comportement déloyal.

Ici la ville savait que le prix du contrat du plus bas soumissionnaire était dérisoire et donc le fruit d’une erreur évidente. CIMA le savait et pourtant elle recommande à la ville d’accorder le contrat. La ville commet donc la même faute que CIMA mais cette dernière fut tenue aux dommages comme mandataire fautif. Les deux ont commis une réticence dolosive et transgressé l’obligation de bonne foi en accordant un contrat à un prix dérisoire en sachant qu’il aurait été autrement impossible d’en obtenir le bénéfice n’eut été de l’erreur du plus bas soumissionnaire.

Le remède ici n’est pas la nullité du contrat puisque le soumissionnaire a choisi de l’exécuter sous protêt; par contre le tribunal accorde, en partie, à titre de dommages-intérêts, la différence entre le prix prévu à la soumission litigieuse et le prix de la deuxième plus basse soumission (et non le prix demandé soit le prétendu coût réel des travaux).


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