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L'expert peut-il fonder son opinion quant à une perte de profits à partir d'états financiers non vérifiés ?

30 mai 2019

Par Laurent Debrun

Couche-Tard inc. c. Front Line Displays inc, 2019 QCCS 916 

Peut-on faire la preuve par expert d’une perte d’exploitation sur plusieurs années, à titre de dommages suite à la résiliation d’un contrat de placement publicitaire, en ayant recours à des états financiers non vérifiés?

Est-ce du ouï-dire, comme le soutenait Couche-Tard afin de faire rejeter le rapport d’expertise? Front Line poursuit Couche-Tard pour une somme de plus de 5 millions de dollars représentant les dommages qu’elle aurait subis en raison de fausses représentations précontractuelles, du défaut par Couche-Tard de respecter ses obligations pendant la durée du contrat et la résiliation abusive de celui-ci. Les dommages représentent les pertes d’exploitation subies et les gains manqués. 

Le nouvel article 241 du nouveau Code de procédure civile (nCpc) est plus large que l’article 423 de l’ancien Code qui permettait de demander le rejet d’un rapport d’expert pour cause d’irrégularité ou de nullité. Désormais on peut demander le rejet d’un tel rapport pour erreur grave ou partialité. Il faut présenter sa demande dans les 10 jours de la connaissance du motif de rejet d’un rapport d’expertise.

L’expert peut-il fonder son opinion sur des états financiers non vérifiés alors que le créancier réclame des profits manqués? L’expert de Front Line avait retenu la méthode de l’analyse de la marge sur coups directs qui se définie comme étant l’excédent du prix de vente ou du chiffre d’affaires relatif à un produit ou à un service sur les coûts directs correspondants. 

La marge sur coups directs représente la contribution du produit ou du service à la couverture des coups de structure correspondant à l’ensemble des produits vendus ou des services fournis et à la réalisation d’un bénéfice. Le préjudice financier associé au contrat en litige correspond donc à la marge sur coups directs qu’aurait pu percevoir Front Line. 

Le tribunal note que rien dans la loi n’oblige une société d’avoir recours à des états financiers vérifiés. Il est vrai que la jurisprudence majoritaire veut qu’en matière de calcul des dommages pour perte de profit, les conclusions des experts s’appuient sur des pièces justificatives incontestables et que les états financiers sur lesquels elles sont basées soient, de préférence, vérifiés mais ce n’est pas une règle absolue. Le rapport d’expertise ne sera pas automatiquement rejeté du seul fait que l’opinion repose sur des états financiers non vérifiés. Des états financiers non vérifiés constituent du ouï-dire puisqu’ils sont préparés sur la seule foi de représentations des administrateurs ou dirigeants de la société. Les états financiers non vérifiés n’ont donc pas la même valeur.

Mais le tribunal jouit d’une discrétion lors de l’évaluation des dommages et il peut tenir compte de la valeur probante du rapport selon qu’il repose sur des états financiers vérifiés ou non. Un rapport d’expertise fondé sur l’état des revenus et des frais variables dûment vérifiés par les experts pourrait, dans certaines circonstances, suffire à établir selon les règles de preuve la valeur des dommages. 

Ce jugement nous rappelle cependant que les états financiers vérifiés constituent la meilleure preuve ayant une force probante nettement supérieure. Fait à noter, l’expert était ici le comptable de l’entreprise. Couche-Tard invoquait sa partialité comme base du rejet du rapport, ce qui fut refusé. Bien que ceci ne puisse suffire à rendre inadmissible son rapport, son opinion ou son témoignage, encore une fois la valeur probante à donner à l’opinion de ce comptable comme témoin expert peut s’en trouver affectée lors du procès.

 

Cette publication vise à donner des renseignements généraux sur des questions et des développements d’ordre juridique à la date indiquée. Les renseignements en cause ne sont pas des avis juridiques et ne doivent pas être traités ni invoqués comme tels.


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