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Droit immobilier

Évaluation municipale et contrôle judiciaire : quelles normes de contrôle appliquer ?

1 septembre 2021

Par Charles Côté-De Lagrave

Le 4 août dernier, la Cour d’appel a rendu un arrêt important en matière de contrôle judiciaire et des normes applicables. [1]

Contexte

Le litige met en cause deux dossiers dans lesquels deux sociétés, Société Immobilière IMSO Inc. (ci-après « IMSO ») et Société en commandite Locoshop Angus (ci-après « Angus »), contestent l’évaluation municipale faite par la Ville de Montréal de leurs propriétés aux fins de calculer les taxes municipales et scolaires.

Le nœud du conflit concerne la notion d’immobilisation par attache d’un bien meuble au sens de l’article 1 de la Loi sur la fiscalité municipale[2]. La question que les tribunaux devront trancher est de « décider si des équipements servant à l’hébergement de serveurs informatiques sont des meubles « attachés à demeure » à l’immeuble dans lequel ils se trouvent, donc des « immeubles » au sens du Code civil du Québec qui doivent être portés au rôle d’évaluation foncière »[3].

Les deux dossiers furent entendus devant la division des affaires immobilières du Tribunal administratif du Québec (ci-après « TAQ ») à quelques mois d’intervalle[4]. Dans le dossier IMSO, le TAQ a décidé de porter les équipements au rôle d’évaluation foncière et dans celui de Angus, le Tribunal a décidé de ne pas porter les équipements au rôle d’évaluation foncière[5]. 

Les deux décisions sont portées en appel devant la Cour du Québec.

La Cour n’avait pas encore le bénéfice de l’arrêt Vavilov[6] au moment de décider l’appel. Dans le dossier Angus, la Cour du Québec conclura au caractère raisonnable de la décision du TAQ et rejettera l’appel de la Ville de Montréal[7]. Dans le dossier IMSO, la Cour du Québec considérera déraisonnable la conclusion du TAQ[8].

Des pourvois en contrôle judiciaire s’en suivent dans les deux dossiers et procéderont devant l’Honorable Silvana Conte J.C.S.[9]. La juge confirmera les conclusions de la Cour du Québec dans les deux dossiers[10].

La Ville de Montréal fait appel des deux jugements de la Cour supérieure auprès de la Cour d’appel du Québec.

La norme de contrôle applicable au jugement de la Cour supérieure

La Cour d’appel commence son analyse en rappelant que la norme de contrôle applicable à un jugement de la Cour supérieure statuant sur un pourvoi en contrôle judiciaire est de déterminer si la Cour supérieure a choisi la bonne norme de contrôle et par la suite, si elle l’a appliqué correctement[11]. La Cour d’appel doit donc se mettre à la place du tribunal de juridiction inférieure, dans le présent cas la Cour du Québec, et se concentrer sur la décision administrative[12].

La norme de contrôle applicable à la décision du Tribunal administratif du Québec

La Cour d’appel poursuit son analyse en révisant les enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov concernant la détermination de la norme de contrôle d’une décision administrative sur le fond. En effet, Vavilov établit une présomption en faveur de la norme de la décision raisonnable[13]. Cependant, il existe deux situations où il est possible d’écarter cette présomption[14] :

  • lorsque le législateur à établi un mécanisme d’appel pour la décision administrative;
  • lorsque la primauté du droit commande l’application de la norme de la décision correcte;

Ici, le législateur a établi un mécanisme d’appel des décisions administratives du TAQ (article 159 de la Loi sur la justice administrative [15]). De plus, suivant l’arrêt Vavilov, le législateur québécois a ajouté l’article 83.1 à la Loi sur les tribunaux judiciaires [16] pour confirmer la norme de contrôle applicable à un appel à la Cour du Québec. Dès lors, la norme de contrôle applicable au contrôle judiciaire des décisions du TAQ par la Cour du Québec est celle applicable à un appel. La Cour du Québec a donc erré lorsqu’elle a appliqué la norme de la décision raisonnable aux décisions du TAQ[17].

La norme de contrôle applicable à la décision de la Cour du Québec

Finalement, la Cour d’appel analyse la norme de contrôle applicable par la Cour supérieure lorsqu’elle contrôle le jugement rendu par la Cour du Québec alors que cette dernière remplit des fonctions d’appel. La Cour d’appel rappelle que bien que la Cour du Québec soit un tribunal judiciaire et non un tribunal administratif, elle demeure soumise au pouvoir de contrôle judiciaire de la Cour supérieure[18]. Conformément à la présomption établie par l’arrêt Vavilov, la norme applicable devrait donc être celle de la décision raisonnable. Par ailleurs, selon la Cour d’appel, la méthode de contrôle selon la norme de la décision raisonnable est «respectueuse du choix d’organisation institutionnelle du législateur qui a voulu que la décision de la Cour du Québec, dans les matières visées à l’article 159 L.j.a., soit sans appel. »[19]. La Cour d’appel conclut donc que la Cour supérieure a erré lorsqu’elle a appliqué la norme de la décision correcte aux décisions de la Cour du Québec[20].

La Cour d’appel a donc conclu que dans les deux dossiers les équipements fixés à demeure et servant à héberger des serveurs informatiques sont des « immeubles » devant être portés au rôle d’évaluation foncière[21].

Que retenir ?

Même si l’arrêt Vavilov vise à simplifier l’analyse des normes de contrôle en matière de contrôle judiciaire[22], la détermination des normes applicables demeure un exercice délicat. Cela est particulièrement vrai lorsqu’on se trouve, comme dans le présent cas, en présence d’une décision d’un tribunal administratif, d’un appel statutaire auprès de la Cour du Québec suivi d’un pourvoi en contrôle judiciaire devant la Cour supérieure puis d’un appel à la Cour d’appel du Québec.

[1] Remerciements à Me Laurent Debrun pour sa grande contribution dans la préparation de cet article.

[2] Ville de Montréal c. Société en commandite Locoshop Angus, 2021 QCCA 1217, para. 19.

[3] Ibid.

[4] Ibid., para. 38.

[5] Ibid., para. 43.

[6] Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

[7] Montréal (Ville de) c. Société en commandite Locoshop Angus, 2016 QCCQ 1136, para. 24.

[8] Société immobilière IMSO inc. c. Montréal (Ville de), 2016 QCCQ 1120, para. 119.

[9] Ville de Montréal c. Société en commandite Locoshop Angus, 2021 QCCA 1217, para. 52.

[10] Ibid., paras. 55 et 57.

[11] Ville de Montréal c. Société en commandite Locoshop Angus, 2021 QCCA 1217, para. 59.

[12] Ibid.

[13] Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, para. 16.

[14] Ibid., para. 17.

[15] R.L.R.Q., c. J-3.

[16] R.L.R.Q., c. T-16.

[17] Ville de Montréal c. Société en commandite Locoshop Angus, 2021 QCCA 1217, para. 66.

[18] Ibid., para. 69.

[19] Ibid., para. 70.

[20] Ibid., para. 73.

[21] Ibid., para. 153.

[22] Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, para. 9.