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Superficie brute ou nette lors d’une vente d’un condominium sur plan. La Cour d’appel se prononce.

22 décembre 2020

Par Laurent Debrun

Duval c. Habitats District Griffin îlot 10 inc. 2018 QCCS 4703 (http://canlii.ca/t/hvxbw) : jugement confirmé en appel Habitats District Griffin îlot 10 inc. c. Duval 2020 QCCA 1614 (http://canlii.ca/t/jc0h2)

 

Plusieurs décisions ont déjà traité de la question du recours de l’acheteur d’une copropriété divise quant à la différence entre la superficie brute et la superficie nette livrée (Patel c. Condominiums Centraux inc où une différence de 127 pieds carrés donne lieu à une indemnisation de l’acheteur même si le promoteur avait indiqué dans le contrat préliminaire que la superficie indiquée était approximative. Fournier c. Construction Beau Design inc (2004) où une différence de 52 pieds carrés donne lieu à une indemnité aux termes de l’article 1720 du Code civil du Québec (C.c.Q.). Ouellette c. Édifice Saint-Jacques Inc. où une différence de 22 % fut considérée importante surtout du fait que l’appartement était de petite taille. Dans ces affaires, tant l’article 1720 C.c.Q. que les articles de la Loi sur la protection du consommateur traitant de la responsabilité du vendeur pour fausses représentations ou dol furent invoqués pour conclure à un manquement du vendeur à son devoir d’information dû à l’acheteur dans des cas de ventes sur plan.

L’article 1720 C.c.Q. prévoit que :

Le vendeur est tenu de délivrer la contenance ou la quantité indiquée au contrat, que la vente ait été faite à raison de tant la mesure ou pour un prix global, à moins qu’il ne soit évident que le bien individualisé a été vendu sans égard à cette contenance ou à cette quantité.

Il est connu que la différence entre la superficie brute et la superficie nette d’un condominium peut varier (règle générale, de 8 à 12 %) et qu’elle peut même atteindre, dans le cas de certains édifices, un plus haut pourcentage.

La superficie brute calculée par un architecte inclut des parties non habitables comme le gros œuvre, les murs porteurs, colonnes etc

L’arpenteur géomètre va plutôt calculer la superficie nette en excluant toutes les parties non habitables. Il est donc recommandé aux promoteurs de remettre un avis écrit le plus clair possible informant tout acheteur que les calculs de superficie et de volume de chaque partie privative résultant de l’arpentage ou du plan de cadastre peuvent prévoir des dimensions différentes, le plus souvent moindres, que celles indiquées au plan d’architecture utilisé dans le cadre du contrat préliminaire de vente. On sait qu’un appartement de coin d’un peut présenter moins de différence car il y a plus de murs extérieurs et donc moins de murs mitoyens.

D’ailleurs le formulaire Garantie Construction Résidentielle recommandé pour les entrepreneurs détenant une licence de la Régie du bâtiment du Québec et procédant à la vente d’une copropriété divise résidentielle sur plan prévoit que la superficie nette à livrer peut-être moindre que la superficie brute. L’acheteur est donc avisé et il doit attester du fait qu’il a reçu cette information. Par ailleurs ce formulaire contient une formule préétablie envisageant trois situations :

  • La superficie nette livrée n’est inférieure à la superficie brute annoncée que selon un pourcentage prédéfini, en quel cas il n’y a pas de recours;
  • Si cette différence est plutôt à l’intérieur d’une fourchette préétablie (par exemple 5% à 10%), alors l’acheteur a droit à une indemnité selon une valeur préétablie;
  • Si la différence est à ce point importante qu’elle est supérieure à l’extrême valeur de la fourchette, l’acheteur a alors le droit à demander la résolution de la vente.

Dans l’affaire Duval c. Habitats District Griffin Îlot 10 INC 2018, la Cour Supérieure a condamné le promoteur à payer à l’acheteur une somme de 73 000 $ avec intérêts ainsi que les frais de justice au motif que l’appartement vendu sur plan comme contenant 1321 pieds carrés n’en contenait en réalité que 1174, soit 12 % de moins que ce que Duval croyait acheter lors de la signature du contrat préliminaire. Le contrat préliminaire contenait pourtant la clause suivante:

Les dimensions et superficies sont approximatives et sujettes à des modifications sans préavis.  Le mobilier montré l’est à titre indicatif seulement. La superficie brute est calculée en incluant la moitié des murs mitoyens, le mur extérieur et le mur du corridor. 

Quand l’acheteur reçut le certificat de localisation et qu’il fut convoqué à la clôture, il apprend que la superficie habitable est de 12 % moins que celle qui lui avait été annoncée lors de la signature du contrat préliminaire et soi-disant confirmée par la suite. Il procède cependant à l’achat sans soulever de protêt car il croit ne pas avoir le droit de se dédire et il a déjà fait pour 50 000$ d’achats de matériaux. Ce n’est que plusieurs mois après la transaction qu’il met en demeure le promoteur en lui réclamant une indemnité pour défaut de contenance. 

La cour de conclure que pour renverser le lourd fardeau que lui impose l’article 1720 C.c.Q., le promoteur doit prouver que l’acheteur achetait l’appartement sur plan, sans égard à la contenance, un fardeau effectivement très lourd. Dès que la superficie habitable de l’appartement est une considération importante pour l’acheteur, comme le plaidait Duval ici, toute divergence découlant d’une fausse information ou d’une omission de transmettre une information claire peut donner lieu à une obligation d’indemnisation. La cour décide que tant la Loi sur la protection du consommateur (articles 216 218 219 et 221) que l’article 1720 du C.c.Q. trouvent application. C’est selon un critère de la personne crédule inexpérimentée qu’il faut évaluer le caractère trompeur des pratiques commerciales prohibées par la Loi sur la protection du consommateur.

Il était pourtant en preuve que monsieur Duval savait au moment de signer le contrat préliminaire que la superficie indiquée était brute et qu’il existe une différence entre surface brute et nette. Mais, alors que la livraison était retardée et qu’il procédait à des choix de matériaux, il avait adressé des questions au promoteur et les réponses qu’il avait reçues manquaient de clarté. Duval avait ainsi écrit vouloir comprendre si la superficie brute indiquée dans le contrat préliminaire était garantie; le promoteur lui avait répondu : nous venons tout juste de recevoir le plan final de la tour 10 et votre superficie pour votre unité est de 1318 pieds carrés, excluant les deux balcons… Monsieur Duval prétend avoir compris de cette réponse que la superficie habitable lui était confirmée être de 1318 pieds carrés du fait que le promoteur a utilisé le terme plan final.

La Cour y voit un dol au sens de l’article 1401 CCQ et tient le promoteur responsable aux termes de la garantie de contenance.

La Cour d’appel a rejeté l’appel de ce jugement. L’arrêt porte essentiellement sur la question de savoir si, en concluant la vente, l’acheteur avait confirmé le contrat de sorte qu’il était dès lors forclos de se plaindre du défaut de contenance. La Cour d’appel refuse de voir une renonciation tacite à son droit par l’acheteur et confirme par ce fait le premier jugement.

A titre comparatif, en France, la Loi Carrez de 1996 vise à protéger les acquéreurs de lots de copropriété existants. Elle impose au vendeur d’une copropriété le devoir d’en mentionner la superficie privative habitable dans tous les documents relatifs à la vente. Étrangement, elle ne s’applique pas dans le cas de l’achat sur plan. La superficie privative appelée superficie Carrez est la superficie de plancher des pièces fermées, avec plancher installé, après déduction des surfaces occupées par les murs, cloisons, marches et cages d’escalier, gaines, embrasures de porte et de fenêtres. Les placards encastrés dans une embrasure ainsi que les placards avec une marche ne sont pas comptabilisés. Il n’est pas tenu compte des planchers, des parties de locaux d’une hauteur inférieure à 1.80 m. On ne tient pas compte des caves, garage, placard à l’extérieur, d’un grenier non aménageable.

Cette loi visite à mettre fin à la confusion qui régnait du fait de l’existence de plusieurs méthodes de calcul de la superficie privative habitable.

Pour ce qui est de la vente d’un lot en copropriété sur plan, ce type de copropriété est soumis à sa propre législation qui impose au promoteur des règles différentes. Il s’agit en fait des articles 1616 et suivants du Code civil. La plupart des contrats prévoient une clause de tolérance relative à la surface en faveur du promoteur. Elle est au maximum de 5 %; ainsi, si la surface livrée est inférieure à la surface indiquée comme approximative au contrat, l’acquéreur n’a aucun recours; au-delà de ce pourcentage, il dispose d’un droit d’action pour demander une diminution du prix. Les parties sont évidemment libres de choisir dans un contrat prévoyant une vente en l’état futur d’achèvement l’utilisation de la méthode de la Loi Carrez.

Conclusion : Le promoteur doit prendre toutes les mesures possibles pour s’assurer dans tous les documents et contrats d’avoir la preuve que l’acheteur fut clairement informé que la superficie d’un condominium vendu sur plan est brute et encore approximative, comment cette superficie brute est calculée et que la superficie nette habitable à être livrée sera inférieure. Il serait bon de légiférer dans le domaine de la vente d’immeubles résidentiels au Québec afin d’introduire un régime universel de détermination de la superficie habitable utile, tant pour les ventes sur plan que pour la vente d’immeubles existants.

 

 


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