29 août 2024
Idées Litige Un professionnel de la santé peut se voir refuser le paiement d’un acte posé et facturé à la RAMQ même s’il est conforme à l’état de la science et de son art
6 octobre 2020
Par Laurent Debrun
La Régie de l’assurance maladie (RAMQ) effectue une vérification aléatoire de 35 examens effectués durant une période de quatre ans par un optométriste. L’examen vise l’étude de la motilité oculaire. Après une enquête et analyse de ces 35 dossiers par la RAMQ, celle-ci en vient à la conclusion que 33 des 35 examens ne sont pas conformes au libellé du code de facturation prévu à l’entente intervenue entre le Ministère de la santé (MSSS) et l’Association des optométristes et que l’on retrouve dans le Manuel des optométristes. Toute la facturation du professionnel en lien avec cet acte est donc modifiée rétroactivement pour les 4 années antérieures afin de refuser plus de 90% de tous les actes facturés et de lui en réclamer le remboursement. Conformément à la Loi sur l’assurance maladie, un avis de différend est logé à l’encontre de la décision de la RAMQ devant un arbitre et deux assesseurs nommés par les parties. L’acte litigieux concerne l’évaluation de la motilité oculaire ce qui permet de qualifier et de quantifier la coordination binoculaire. C’est un acte diagnostique, pertinent chez des patients présentant une symptomatologie particulière (strabisme, diplopie etc.)
Selon la RAMQ, le code concernant l’étude de la motilité oculaire nécessite de mesurer les 3 degrés de fusion, soit la perception simultanée, la fusion et la vision stéréoscopique ainsi que la déviation. Plusieurs tests sont requis pour réaliser cette étude.
L’optométriste estimait qu’il n’était pas nécessaire de refaire certains tests concernant l’étude du troisième degré de fusion lorsque les résultats de l’analyse des deux premiers degrés indique qu’il n’y avait pas eu variation dans le temps; Il ne serait donc pas nécessaire de refaire d’emblée, à chaque examen, les tests de vision du troisième degré car il n’y aurait pas de pertinence clinique. La question est donc de savoir si un professionnel de la santé peut facturer à la RAMQ un acte alors qu’il estime qu’il l’a effectué conformément aux règles de l’art, compte tenu du besoin du patient, même si certains éléments contenus à la définition de l’acte codé ne furent pas réalisés car non pertinents selon l’opinion du professionnel?
Le conseil d’arbitrage en vient à la conclusion que la RAMQ était en droit de récupérer du professionnel près de 95% des montants facturés sous ce code car le professionnel avait omis de réaliser certains tests incorporés à la définition du code et sans lesquels le professionnel n’avait pas le droit d’être rémunéré.
La décision peut surprendre. Selon le Conseil d’arbitrage, même si les règles de l’art changent et qu’un des éléments inclus dans la définition d’un code vient à devenir désuet ou non requis médicalement, le professionnel ne peut réclamer paiement du code s’il ne pose pas tous les gestes décrits dans le tarif. La RAMQ ne tient pas compte de la qualité de l’acte, ce rôle incombe à l’ordre professionnel compétent. La RAMQ est un organisme payeur qui est chargé de veiller à ce que les actes facturés par les professionnels soient conformes au libellé de l’acte négocié entre les parties prenantes. En d’autres mots, si un code de facturation est défini comme nécessitant l’examen de 4 éléments et que le professionnel, en son for intérieur et appuyé de sa science, estime chez un patient que l’acte ne nécessite que l’étude de 3 des 4 éléments, il peut se voir refuser le paiement de l’acte purement et simplement.
La solution, selon le Conseil d’arbitrage, réside dans la modification du libellé du code, par négociation entre l’Association et le MSSS, afin qu’il reflète l’état de la science. Tant que ceci ne sera pas fait, pour être payé, le professionnel doit, soit s’abstenir de facturer la RAMQ, soit réaliser tous les tests et examens visés dans le libellé du code sans égard au fait qu’il peut estimer ces gestes non requis médicalement. Pour l’arbitre, le Manuel est semblable à une convention collective et, si la disposition est claire, elle ne doit pas être interprétée mais appliquée rigoureusement. Modifier le sens clair de la disposition au motif que ceci cadrerait avec les exigences scientifiques de l’ordre professionnel et des normes de la pratique serait une incursion illégale dans le texte de la loi habilitante et du Manuel.
Un choix dantesque pour les professionnels de la santé.
Association des optométristes du Québec c. RAMQ, 2020 QCTA 420