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La Cour Fédérale annule une décision du Bureau des passeports révoquant le passeport d'une personne et les services de passeports qui lui sont offerts : la décision importante de Vavilov

31 mars 2020

Par Neil G. Oberman

Dans une rare décision, Alsaloussi v. Canada (Procureur général)[1], la Cour fédérale a récemment annulé une décision du Bureau des passeports d'Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada révoquant les services de passeports du demandeur pour une période de trois ans du fait que la décision était déraisonnable.

Le Bureau des passeports allègue qu'en 2018, le demandeur a déposé une demande de passeport dans laquelle il a fait des déclarations fausses ou trompeuses. Selon le Bureau des passeports, il s'agit d'une violation de Passeport Canada, et il ordonne la révocation du passeport du demandeur et émet une suspension des services de passeports de trois ans.

Le demandeur demande un contrôle judiciaire de la décision pour plusieurs motifs. Le tribunal a convenu que la décision de révoquer les services de passeports pour une période de trois ans ne répondait pas à la norme de la décision raisonnable. Plus précisément, le tribunal ne voyait pas comment cette décision pouvait être justifiée à la lumière de la preuve et comment elle pouvait contribuer à réaliser les objectifs du Programme des passeports.

Le juge a fondé ses conclusions sur les deux motifs suivants :

  • Premièrement, le décideur a ignoré la preuve substantielle qui lui a été déposée à l'effet que le demandeur avait besoin de son passeport pour son travail et pour des raisons de santé :

I cannot find in the Decision’s reasons an indication that the Passport Division engaged in a meaningful way with the evidence showing the adverse impact of the suspension on Mr. Alsaloussi’s work.

Bien que les motifs écrits du décideur ne peuvent être évalués en fonction de la norme de la décision raisonnable, certaines omissions pourraient amener le tribunal de révision à penser que le décideur avait nié certains faits :

The failure to consider specific evidence must be viewed in context and may be sufficient to a decision being overturned when the non-mentioned evidence is critical, contradicts the decision maker’s conclusion and reviewing court determines that its omission means that the tribunal disregarded the material fact before it.

[The written reasons] need to be comprehensible and justified. And the failure to meaningfully grapple with key issues or central arguments raised by a party may call into question whether the decision maker was actually alert and sensitive to matters before it and whether the decision exhibits the required  degree of justification, transparency and intelligibility. A reviewing court must also be satisfied that any alleged shortcomings or flaws relied on by the party challenging a decision are sufficiently central or significant to render the decision unreasonable. Here, I find that this is a situation where, on a determinative issue, there is a flawed logical process by which the facts were drawn from the evidence, as the Decision-Maker failed to account for relevant evidence and made a finding that ignored the overwhelming weight of the evidence.

  • Deuxièmement, le juge a conclu que le décideur n'avait pas suffisamment considéré l'équilibre entre les objectifs du programme des passeports et les difficultés causées par le refus d'offrir des services de passeports, compte tenu de la situation personnelle du demandeur. Le tribunal a conclu que le décideur :

failed to balance [the Applicant’s] particular situation against the objectives of Canada’s Passport Program, and the reasons do not allow me to understand the causal link between the choice of the three-year suspension and the need to preserve the integrity of the Canadian passport system and other elements of the Passport Division’s mandate.

Pour le tribunal « matters where suspensions of three and a half to five years of passport ineligibility have been imposed involved some form of misconduct that was far more serious than Mr. Alsaloussi’s case the required causal link between the three-year suspension and the objectives of protecting the integrity of Canada’s Passport Program and the good reputation of Canada’s passports had to be more explicitly explained for me to conclude that the Decision was reasonable ».

Le fait que le demandeur ait pu obtenir des services de passeports limités pour des raisons urgentes, impérieuses et humanitaires n'atténuait pas la gravité et l'impact de la peine imposée en regard du droit à la mobilité du demandeur.

Conclusion

En appliquant l'arrêt Vavilov, le tribunal a conclu que l'aspect omis de l'analyse l'a amené à « lose confidence in the outcome reached » et, pour cette raison, la demande de révision judiciaire a été accueillie.

Ce jugement est parmi les premières décisions de la Cour Fédérale appliquant le cadre d'analyse élaboré par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Vavilov dans le contexte d'une demande de révision judiciaire. De plus, il s'agit d'une des rares décisions où le détenteur d'un passeport a contesté avec succès une ordonnance du Bureau des passeports. Cela confirme que, bien que les motifs écrits d'un décideur ne doivent pas être jugés en fonction de la norme de la décision raisonnable, ils doivent démontrer avoir pris en considération les éléments clés de preuve ainsi qu'un lien rationnel entre la preuve, le raisonnement du décideur et la décision rendue. Sinon, la conclusion du décideur pourrait être jugée déraisonnable[2].

[1]Alsaloussi c. Canada (Procureur général), 2020 CF 364.

[2]L'auteur est l'avocat du demandeur. La décision peut toujours faire l'objet d'un appel.


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