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État d’urgence national, COVID-19 et force majeure : les pouvoirs extraordinaires de l’état et des municipalités

17 mars 2020

Par Laurent Debrun

Le premier ministre du Québec, François Legault, a annoncé le 14 mars 2020 l’état d’urgence sanitaire sur tout le territoire québécois, et ce, pour une période de 10 jours. Cette mesure extraordinaire est prise en vertu de la Loi sur la sécurité publique (la Loi). L’article 88 de la Loi permet en effet au gouvernement de déclarer l’état d’urgence national, dans tout le territoire québécois, lorsqu’un sinistre majeur, réel ou imminent, ou un autre événement qui perturbe le fonctionnement de la communauté au point de compromettre la sécurité des personnes exige, pour protéger la vie, la santé ou l’intégrité des personnes, une action immédiate qu’il estime ne pas pouvoir se réaliser adéquatement dans le cadre des règles de fonctionnement habituelles des autorités responsables de la sécurité civile ou des ministères et organismes gouvernementaux concernés ou dans le cadre du plan national de sécurité civile.

L’état d’urgence ainsi déclaré par le gouvernement vaut pour une période maximale de dix jours à l’expiration de laquelle il peut être renouvelé pour d’autres périodes maximales de dix jours ou, avec l’assentiment de l’Assemblée nationale, pour des périodes maximales de 30 jours.

L’évènement déclencheur est la pandémie de la Covid-19, un phénomène naturel qui cause ou est susceptible de causer de graves préjudices aux personnes et exige de la collectivité affectée des mesures inhabituelles; les notions de phénomène naturel et d’urgence nationale correspondent à la notion d’aléa, à un cas de force majeure.

L’article 93 de la Loi accorde alors de très larges pouvoirs au gouvernement et produit une sorte de suspension des lois qui, autrement, seraient source de contraintes pour l’État. Le gouvernement peut ainsi :

1°  ordonner la mise en œuvre des mesures d’intervention prévues au plan des autorités responsables de la sécurité civile ou celles des ministères ou organismes gouvernementaux établies conformément à l’article 60 et, si nécessaire, désigner la personne qui en est chargée;

2°  ordonner la fermeture d’établissements dans le territoire concerné;

3°  contrôler l’accès aux voies de circulation ou au territoire concerné ou les soumettre à des règles particulières;

4°  ordonner, lorsqu’il n’y a pas d’autre moyen de protection, la construction ou la démolition de tout ouvrage, le déplacement de tout bien ou l’enlèvement de toute végétation dans le territoire concerné;

5°  accorder, pour le temps qu’il juge nécessaire à l’exécution rapide et efficace des mesures d’intervention, les autorisations ou dérogations prévues par la loi pour l’exercice d’une activité ou l’accomplissement d’un acte requis dans les circonstances;

6°  ordonner, lorsqu’il n’y a pas d’autre moyen de protection, l’évacuation des personnes de tout ou partie du territoire concerné qu’il détermine ou leur confinement et veiller, si celles-ci n’ont pas d’autres ressources, à leur hébergement, leur ravitaillement et leur habillement ainsi qu’à leur sécurité;

7°  ordonner de cesser l’alimentation en énergie ou en eau par aqueduc de tout ou partie du territoire concerné qu’il détermine;

8°  requérir l’aide de toute personne en mesure d’assister les effectifs déployés;

9°  réquisitionner les moyens de secours et lieux d’hébergement privés ou publics nécessaires;

10°  réquisitionner des denrées, vêtements et autres biens de première nécessité pour les victimes et voir à leur distribution;

11°  rationner les biens et services de première nécessité et établir des priorités d’approvisionnement;

12°  avoir accès à tout lieu nécessaire pour l’exécution d’un ordre donné en vertu du présent article, au lieu menacé ou touché par l’événement ou au lieu d’une activité ou d’un bien qui comporte un risque d’aggravation de l’événement afin de connaître et de comprendre les effets de l’événement sur ce risque ou, s’il s’agit du lieu menacé ou touché, les causes, le développement et les effets potentiels de cet événement;

13°  faire les dépenses et conclure les contrats qu’il juge nécessaires;

14°  prendre la décision de mettre en œuvre, pour le territoire concerné, les programmes d’assistance financière visés à l’article 100.

Le gouvernement ne peut être poursuivi en justice pour un acte accompli de bonne foi dans l’exercice de ces pouvoirs. Toute personne qui respecte un ordre donné en vertu de l’article 47 ou 93 est réputée se trouver dans une situation de force majeure.

La Loi prévoit (articles 94 et 95) que le gouvernement est tenu, dans un délai de trois mois de la demande qui lui est adressée par une personne dont l’aide ou les biens ont été requis en vertu du paragraphe 8° ou 9° du premier alinéa de l’article 93, de lui accorder une compensation déterminée sur la base du prix courant de location pour ce type de service ou de bien tel qu’il s’établissait immédiatement avant l’événement. Il en est de même pour un bien requis en vertu du paragraphe 10° du premier alinéa de l’article 93, la compensation étant déterminée sur la base du prix courant de vente pour ce type de bien tel qu’il s’établissait immédiatement avant l’événement.

Tout dommage causé dans l’exercice de l’un des pouvoirs prévus aux paragraphes 4° et 9° du premier alinéa de l’article 93 est indemnisé par le gouvernement, exception faite des dommages que l’événement aurait manifestement causés de toute manière. Notez que le droit à une indemnité prévue à l’article 94 ou 95 se prescrit par un an à compter de la fin de l’état d’urgence.

La Loi donne au gouvernement le pouvoir d’adopter des programmes d’aide financière ou d’indemnisation visant certaines pertes ou dommages subis en raison du sinistre ou de l’évènement. Il reste à savoir si la pandémie sera considérée comme un sinistre.

Certaines dispositions légales accordent des pouvoirs spéciaux ou octroient des responsabilités aux autorités municipales dans le contexte d’une situation d’urgence ou d’un sinistre. Il importe pour la personne traitant dans un contexte d’urgence nationale avec une municipalité d’être au fait de ces dispositions pour agir dans le respect des lois et règlements ainsi que de connaître les limites aux pouvoirs et prérogatives de la municipalité.

Le maire d’une municipalité peut décréter des dépenses et d’octroyer des contrats en cas de force majeure. Il dispose de pouvoirs d’exception prévus à l’article 573.2 de la Loi sur les cités et villes. Dans un cas de force majeure de nature à mettre en danger la vie ou la santé de la population, le maire peut décréter toute dépense qu’il juge nécessaire et octroyer tout contrat nécessaire pour remédier à la situation. Dans ce cas, le maire doit faire un rapport motivé au conseil dès la première assemblée qui suit. L’article 937 du Code municipal du Québec accorde un pouvoir identique au chef du conseil, soit le maire d’une municipalité locale ou le préfet d’une MRC. Ces pouvoirs d’exception permettent de décréter des dépenses et d’octroyer des contrats pour remédier à une situation de force majeure. Ils ont probablement les mêmes effets que les pouvoirs de décréter des dépenses et d’accorder des contrats dans le cadre d’une déclaration d’état d’urgence en vertu de la Loi sur la sécurité civile en ce qui concerne la protection de la santé ou de la vie de la population.

Lors de la pandémie Covid-19 et l’état d’urgence, il se peut que la situation devienne difficile à gérer, le suivi des dépenses et le classement des factures et autres documents importants peuvent constituer un défi. Par conséquent, il est recommandé de mettre en place un système visant à conserver la preuve des dépenses et des contrats que l’État, incluant une municipalité, peut vous octroyer et de s’assurer de la conservation des factures et autres documents pouvant être nécessaires pour déposer une demande d’aide financière ou faire une réclamation d’assurance.


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