29 août 2024
Idées Litige Un tribunal québécois peut annuler une opération et renonciation si elle a été obtenue «injustement»
22 janvier 2020
Par Laurent Debrun
Hydro-Québec c. Construction Polaris Inc. 2019 QCCA 990
Polaris a obtenu de HQ un contrat pour construire une route d'accès à l'installation hydroélectrique La Romaine. Des dépassements de coûts surviennent rapidement, puis, Polaris réclame graduellement la somme de 24,7 M$ de HQ. Cette dernière exige un audit comptable et des documents légaux appuyant les coûts additionnels. Pendant ce temps, Polaris connaît des problèmes financiers précisément en raison des coûts inattendus qu'elle devait financer, tout en continuant de construire la route. La banque l'informe qu'elle ne peut plus maintenir les crédits. La situation s'aggrave et Polaris fait face à une faillite.
Une réunion a eu lieu entre HQ, Polaris et sa caution, Axa. Polaris voulait un paiement immédiat de HQ de 4 M$, ce qui lui permettrait d'éviter la faillite et de finir le projet, tandis que les parties analysaient les mérites de la réclamation de 24,7 M$. Or, durant la réunion, HQ a demandé à Polaris d'accepter un paiement unique de 10 M$ en contrepartie d'une renonciation à toutes réclamations actuelles et futures, y compris la réclamation de 24,7 M$ pour les coûts additionnels. Polaris a jugé qu'elle n'avait pas le choix et a accepté l'offre. En fait, elle l'acceptait ou elle faisait faillite. Aux termes de la loi québécoise, une opération est un contrat par lequel les parties préviennent une contestation à naître, terminent un procès ou règlent les difficultés qui surviennent lors de l’exécution d’un jugement, au moyen de concessions ou de réserves réciproques (art. 2631 Code civil du Québec (CCQ)). La transaction a, entre les parties, l’autorité de la chose jugée (art. 2633 CCQ). Toutefois, jusqu'à ce qu'elle soit homologuée en tant que jugement par un tribunal, l'opération ne peut faire l'objet d'une exécution forcée. Elle demeure un contrat privé en regard duquel le tribunal peut exercer son pouvoir de contrôle.
Le juge de première instance annule l'opération ainsi que la renonciation y prévue. Selon le tribunal, le consentement de Polaris avait été obtenu par la menace et une pression excessive; HQ savait que Polaris n'avait pas le choix que d'accepter. HQ avait donné à Polaris deux heures pour accepter ou rejeter l'« offre » qui leur avait jamais été annoncée et était contraire à l'attente raisonnable de Polaris que lors de la réunion, HQ confirmerait une avance de 4 M$ plutôt qu'une offre « à prendre ou à laisser ».
Selon le juge, HQ avait agi de mauvaise foi. HQ a profité de la vulnérabilité de Polaris pour obtenir une concession injuste (selon l'art. 1404 CCQ, n’est pas vicié le consentement à un contrat qui a pour objet de soustraire celui qui le conclut à la crainte d’un préjudice sérieux, lorsque le cocontractant, bien qu’ayant connaissance de l’état de nécessité, est néanmoins de bonne foi.). La concession comprenait non seulement une renonciation aux dépassements de coûts de plus de 15 M$ pour les travaux exécutés, mais également une renonciation par Polaris et Axa, la caution, à toute réclamation pour les coûts additionnels liés à l'achèvement futur du projet. Le juge de première instance a précisé que la transaction représentait une « aubaine tout à fait inouïe » pour HQ.
HQ a soutenu en appel que le juge avais erré dans son interprétation des clauses de l'opération. HQ a contesté que l'opération comprenait une renonciation par Polaris, lui empêchant de faire des réclamations pour les travaux futurs. Or, l'avocate au contentieux de HQ, qui avait rédigé et négocié l'opération, a affirmé au procès que c'était bien le sens et la portée de l'opération. Selon la Cour d'appel, le juge de première instance pouvait se fier sur cette preuve pour conclure que HQ avait tiré un « avantage indu » de l'opération, lequel ne pouvait résulter que d'une pression indue.
Cette conclusion se compare à celle rendue par la Cour d'appel du Québec dans l'affaire Invenergy Wind Canada c. Éolectric Inc. (2019 QCCA 1073), dans laquelle le tribunal a jugé que c'est l'intention véritable des parties qui importe, et non pas le libellé de la convention. Il a été déterminé que le témoignage de l'avocate de HQ liait cette dernière, malgré le fait que HQ ait tenté de se distancer du tout en se fiant sur le libellé de la convention.
Quant à l'annulation de la convention, la Cour d'appel nous rappelle que le fait qu'une des parties soit en difficulté financière n'est pas en soi un motif d'annuler une entente. Une partie est en état de « nécessité circonstancielle » si, lorsqu'elle conclut une opération ou libère l'autre partie, l'autre partie, agissant de mauvaise foi, obtient un avantage indu; dans un tel cas, la victime peut invoquer la peur et la contrainte. Le fardeau de prouver qu'une personne a agit de bonne foi incombe à la partie qui a l'intention d'invoquer la renonciation prévue dans une opération et ce, afin d'en bénéficier.
L'approche civiliste québécoise peut être comparée à la solution offerte en droit commun. Bien qu'il soit important pour le tribunal de déterminer si la partie se fiant sur la renonciation ou l'opération était de bonne foi ou non, aux fins de la légalité de ses actions, la mauvaise foi demeure un concept difficile à définir dans un contexte commercial.
Dans l'affaire Times Travel (UK) Limited v. Pakistan International Airlines Corp. (2019 EWVA civ 828), la Cour d'appel anglaise a autorisé un appel interjeté par Pakistan International Airlines Corporation (PIAC) contre l'annulation d'une convention basée sur une contrainte légitime. La PIAC avait conclu une convention avec l'intimé, Times Travel (UK) Limited (Times Travel), en tant que mandataire aux fins de la vente de billets d'avion selon des modalités qui comprenaient une renonciation par Times Travel à des réclamations pour toute commission impayée aux termes d'ententes antérieures. Les activités de Times Travel étaient réservées presque exclusivement à la vente de billes d'avion aux membres de la communauté pakistanaise aux alentours de Birmingham pour des voyages au Pakistan et, au moment pertinent, la PIAC était la seule ligne aérienne à offrir des vols directs entre le Royaume-Uni et le Pakistan. Les activités de Times Travel dépendaient donc largement de sa capacité de vendre des billets de la PIAC (en regard de laquelle elle devait conclure une entente avec la PIAC). En 2012, un nombre important d'agents avaient intentés ou menaçaient d'intenter des procédures pour recouvrer des sommes importantes qui seraient dues à titre de commission. En septembre 2012, la PIAC a résilié toutes les conventions existantes et conclut de nouvelles ententes uniquement si les agents renonçaient à leurs réclamations existantes. Times Travel a accepté les conditions de la PIAC (bien que d'autres agents les aient rejetées ou les aient renégociées à des conditions plus favorables). En 2014, Times Travel a intenté des procédures pour recouvrer les commissions et autres paiements qu'elle disait être dus aux termes d'ententes antérieures. La PIAC s'est fiée, entre autres, sur la renonciation donnée par Times Travel (une entente équivalente à une opération aux termes du Code civil du Québec). La Cour d'appel devait décider si la contrainte économique pouvait, dans un contexte commercial, survenir lorsque A pose ou fait des actes ou des menaces licites pour appuyer une demande que A croit sincèrement être en droit de faire. Si cette croyance est jugée raisonnable et sincère, rien ne peut faire valoir une demande de contrainte économique. Il en va de même lorsque la croyance est jugée déraisonnable. Cette position est conforme au principe que la sécurité contractuelle doit être respectée. La Cour d'appel a jugé qu'il est difficile d'établir la contrainte licite dans un contexte commercial, plus particulièrement si le défendeur agit de bonne foi. Le tribunal a confirmé que la doctrine de contrainte licite ne s'applique pas à la pression licite, si le défendeur croit agir de bonne foi, nonobstant si cette croyance est jugée raisonnable.
En droit commun, la pression illégitime doit être prouvée afin qu'une demande de contrainte économique réussisse, ce qui est souvent plus facile à prouver si le défendeur menace de poser un geste illicite. Dans ce cas, la PIAC a menacé de ne pas conclure d'entente si Times Travel n'acceptait pas les nouvelles conditions de l'entente de 2012, qui était licite. Il est crucial que le tribunal n'ait trouvé aucune preuve de mauvaise foi de la part de la PIAC, du fait que la PIAC croyait sincèrement qu'elle pouvait légalement demander une telle renonciation.
Bien que la PIAC se soit servie de sa position de fournisseur monopolistique de billets d'avion du Royaume-Uni au Pakistan pour exercer une pression économique, historiquement, le droit commun a rejeté l'idée que l'utilisation d'une position monopolistique puisse servir de motif pour annuler une convention. En outre, bien que la PIAC ait pu exercer une pression comme elle l'ait faite en raison de sa position monopolistique, ce n'était pas le rôle des tribunaux de chercher à contrôler l'utilisation licite d'un pouvoir monopolistique, ce qui devrait plutôt se faire par voie législative.
La Cour d'appel anglaise a souligné un point important, à savoir que la position adoptée par la PIAC durant les négociations était licite; si la PIAC avait cherché à faire pression sur Times Travel, ce qui était illicite, la Cour d'appel aurait alors considéré admettre la réclamation et aurait pu rendre une décision différente. La Cour d'appel a donné comme exemple de pression illicite le chantage criminel (par exemple, menacé de signaler un crime, à moins de recevoir une somme d'argent). Si une partie occupe une position dominante ou monopolistique sur un marché (plutôt qu'en regard uniquement d'une autre partie) et tente d'abuser de sa position lors de négociations, cela pourrait être examiné minutieusement par les tribunaux et vu comme une violation des règles de concurrence ou un abus de droit.
Conclusion :
Lors de véritables négociations commerciales entre des personnes d'expérience, les tribunaux privilégient la certitude et résistent aux tentatives d'être tenus de déterminer, après l'événement, ce qui aurait été « juste » dans les circonstances ou de permettre à l'une des parties de déroger aux conditions convenues, du fait qu'elle allègue par la suite que l'entente est injuste, n'est pas ce qu'elle souhaitait vraiment accepter ou, dans maintes cas, simplement du fait qu'elle avait mal compris ou interprété les modalités de l'opération.
En général, les tribunaux de commerce estiment qu'ultimement, chaque partie est prévue d'évaluer si les conséquences de ne pas conclure une entente emportent de loin sur celles de la conclure et, ainsi, prendre une décision éclairée. Or, il semble que malgré une évaluation similaire des circonstances en cause, le droit commun pourrait être moins favorable à une réclamation de contrainte indue ou de pression illicite pour annuler une opération, que ne l'est le Code civil du Québec.
Cet article a été publié initialement sur Thelawyersdaily.ca