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Offrir un compte de titres en cadeau au Québec : quand est-ce qu'un cadeau est un cadeau ?

27 juillet 2018

Par Barry Landy

Selon l'article 1824 du Code civil, au Québec, la donation d'un bien meuble s’effectue, à peine de nullité absolue, par acte notarié en minute. Toutefois, cette règle ne s’applique pas dans le cas où la donation s'effectue suivant le consentement des parties et « s’accompagne de la délivrance et de la possession immédiate du bien ».

Cette règle est assez facile à comprendre dans le cas de meubles corporels. Si je dis : « je vous fais cadeau de mon stylo », je vous le remets physiquement et vous l'acceptez, il s'agit d'une donation valide et irrévocable du stylo, et il n'y a aucune obligation juridique qu'un acte notarié soit conclu pour parfaire la donation.

La règle est moins facile à comprendre dans le cas de meubles incorporels, tels les actions, obligations, comptes bancaires, etc. Par exemple, si j'ai une obligation au porteur et je dis : « je vous fais cadeau de cette obligation au porteur », je vous le remets physiquement et vous l'acceptez, il s'agirait d'une donation valide et irrévocable du fait que je vous l'ai remise immédiatement et vous en avez pris possession immédiatement, sur quoi tous les droits de propriété y afférents vous sont transmis, encore une fois sans qu'il n'y ait d'obligation juridique qu'un acte notarié ne soit conclu pour parfaire la donation.

Par contre, si je faisais la même chose avec un certificat d'action d'une société fermée dont les règlements prévoient des modalités de transfert (telle l'approbation du conseil d'administration de la société), la simple remise physique du certificat d'action ne vous donnerait pas la possession légale et la propriété des actions représentées par ce certificat. En l'absence d'un acte notarié, la remise physique du certificat d'action ne résulte pas en le transfert de la propriété juridique des actions par voie de donation.

Ceci nous mène à la question que je veux aborder brièvement dans le présent article.

Lorsqu'une personne a un compte de titres auprès d'un courtier, tel RBC Dominion ou Scotia Capitaux, peut-elle faire un don de ce compte? ou s'agit-il d'un don d'actions, d'obligations, de fonds mutuels ou d'argent se trouvant dans le compte? Pouvez-vous faire un tel don simplement en donnant instructions à votre courtier ou un acte notarié est-il requis? Lorsque vous recevez un état de compte de votre courtier chaque mois énumérant vos actions, obligations, fonds mutuels, etc., qu'est-ce qui vous appartient exactement? Lorsque vous donnez instructions à votre courtier, qu'est-ce qui est transféré exactement et à quel moment le transfert légal a-t-il lieu?

Le Canada et les États-Unis ont créé un système de détention indirecte pour la plupart des actions, des obligations et des fonds mutuels cotés en bourse au moyen de dépositaires centraux de titres, tels la Caisse canadienne de dépôt de valeurs (CDS) et le Depository Trust Company (DTC) aux États-Unis.

Michel Deschamps, avocat, explique le contexte historique comme suit :

« Avant les années 60, les acheteurs d'actions et d'obligations de sociétés ouvertes recevaient généralement un certificat attestant ces titres. Pour en transférer la propriété, ils n'avaient qu'à livrer les certificats à l'acheteur endossés à des fins de transfert ou accompagnés d'une procuration. Ce système, alors connu comme le système de détention directe, est devenu peu pratique pour traiter de gros volumes d'opérations du public qui avaient lieu quotidiennement.

À cette fin, un système d'inscription en compte, soit le système de détention indirecte, a été mis en place au moyen de dépositaires centraux de titres, tels la Caisse canadienne de dépôt de valeurs (CDS) et le Depository Trust Company (DTC) aux États-Unis, agissant comme chambres de compensation. En vertu de ce système, la grande majorité des opérations sur titres sont transférées sous forme d'inscriptions en compte informatisées inscrites aux registres de divers intermédiaires (principalement les courtiers, banques et sociétés de fiducie), lesquels procèdent à un règlement net avec les dépositaires centraux auxquels ils participent. » (Traduction) [1]

Ce système est régi au Canada aux termes de la loi intitulée Loi sur le transfert des valeurs mobilières (« LTVM ») qui est entrée en vigueur en Ontario, en Alberta et ailleurs en 2007 (et au Québec en 2008). [2]

Ces lois suivent étroitement l'article 8 révisé de la loi intitulée Uniform Commercial Code  (« UCC ») des États-Unis. Elles comprennent, entre autres, des dispositions législatives applicables aux actifs financiers détenus indirectement (à savoir, lorsque l'investisseur a des droits en regard d'actifs financiers sous-jacents qui ne sont pas détenus directement avec l'émetteur mais plutôt par le biais d'un intermédiaire).

Comme l'explique Russel A. Hakes, professeur émérite à l'école de droit de l'Université de Widener (école de droit du Delaware) :

« Depuis des années, les personnes détenant indirectement des valeurs mobilières se considéraient comme les « propriétaires » de celles-ci, avec tous les droits et l'intérêt de propriété en regard de ces valeurs mobilières. L'article 8 n'appuie pas cette théorie, bien qu'il ait été « créé pour s'assurer que les parties conservent leurs droits et obligations légaux prévus... ». Pour comprendre le tout, une distinction doit être faite entre l'intérêt de propriété sur le droit intermédié et celui sur l'actif financier sous-jacent. Un titulaire du droit a tous les droits et l'intérêt de propriété qu'accorde le droit intermédié sur l'actif financier sous-jacent ».[3] (Traduction - citations omises).

Les dispositions de la LTVM, basées sur l'UCC, introduisent le terme « droit intermédié » pour décrire les droits et intérêts d'une personne détenant une valeur mobilière ou autre actif financier par le biais d'un intermédiaire en valeurs mobilières, tel un courtier ou une banque.

La nature juridique d'un droit intermédié est définie comme suit au paragraphe 97(2) de la LTVM de l'Ontario :

« L’intérêt de propriété sur un actif financier donné que le paragraphe (1) confère au titulaire du droit est proportionnel sur tous les intérêts détenus sur cet actif financier par l’intermédiaire en valeurs mobilières, sans égard :

(a) ni au moment où il a obtenu le droit intermédié; ou

(b) ni au moment où l’intermédiaire a obtenu l’intérêt sur l’actif financier. »

Le professeur Hakes a examiné en détail la nature juridique de l'« intérêt de propriété » créé par un droit intermédié. Compte tenu de l'alinéa 8-503(b) de l'UCC, lequel reflète la définition au paragraphe 97(2) de la LTVM de l'Ontario, professeur Hakes a précisé ce qui suit :

« L'alinéa 8-503(b) décrit l'intérêt de propriété du titulaire du droit en regard d'un actif financier comme étant un « intérêt de propriété proportionnel » sur tous les intérêts détenus sur cet actif financier par l'intermédiaire en valeurs mobilières. Bien qu'il ne soit pas précisé explicitement, l'intérêt proportionnel est implicitement limité au montant de l'actif financier crédité au compte de valeurs mobilières. En d'autres termes, si le droit intermédié renvoie à 100 actions d'IBM et l'intermédiaire en valeurs mobilières détient 100 000 actions d'IBM, le droit intermédié est égal à un intérêt de 1/1000 en regard de chaque action détenue par l'intermédiaire. Il est important de noter que cet intérêt proportionnel s'applique aux actifs financiers qu'acquiert l'intermédiaire en valeurs mobilières avant que le titulaire du droit n'acquière le droit intermédié, ainsi que ceux acquis par la suite. Par conséquent, l'ensemble fongible dans lequel un titulaire du droit a un intérêt proportionnel change régulièrement. Toutefois, cet intérêt proportionnel dans l'ensemble fongible d'un actif financier spécifique ne constitue pas une réclamation à un actif spécifique détenu par un intermédiaire financier. » (Traduction)[4]

Dans le système de détention indirecte, l'inscription d'une valeur mobilière à un compte d'un particulier par un intermédiaire en valeurs mobilières ne crée qu'une réclamation in personam contre l'intermédiaire financier. Elle ne crée pas de droit ad rem.

Au Québec, l'article 3 de la LTVM réfère à un titulaire de compte qui « obtient »  un titre intermédié sur un actif financier, sans toutefois définir en termes de droit civil l'« intérêt de propriété » qu'acquiert, en fait, un québécois détenant un droit intermédié.

Au Québec, le paragraphe 103(1) de la LTVM prévoit ce qui suit : « Une personne obtient un titre intermédié sur un actif financier, et devient de ce fait titulaire du titre, dès lors que l’une ou l’autre des conditions suivantes est satisfaite : l’intermédiaire en valeurs mobilières,  par voie d’inscription, porte l’actif au crédit du compte de titres qu’il tient pour cette personne. » (Soulignement ajouté).

L'article 107 prévoit ce qui suit : « Dans la mesure où cela est nécessaire pour que l’intermédiaire en valeurs mobilières puisse honorer tous les titres intermédiés sur un actif financier donné, les droits qu’il détient sur cet actif le sont pour les titulaires de ces titres, ne sont pas sa propriété et ne peuvent, sous réserve de l’article 130, faire l’objet d’une réclamation de la part de ses créanciers.

Chacun des titulaires de titres sur un actif financier a un droit proportionnel dans cet actif, quel que soit le moment où il a obtenu son titre ou le moment où l’intermédiaire en valeurs mobilières a acquis ses droits dans l’actif. » (Soulignement ajouté).

Par conséquent, il semble qu'au Québec, la situation du titulaire d'un compte de titres est assez semblable à celle d'autres canadiens, c'est-à-dire qu'un titulaire québécois d'un compte de titres obtient un « titre intermédié » sur ce compte; il n'obtient pas les titres sous-jacents.

Peut-on transférer son « titre intermédié » au moyen d'un don et si oui, comment le faire? La Cour d'appel du Québec a examiné cette question dans l'affaire Labis c. Labis[5]

Dans cette affaire, une personne a donné instructions à son conseiller financier de transférer un compte d'investissement à ses enfants. La lettre de direction a été signée le 28 mars. Le donateur est décédé le 29 mars, avant que les instructions ne soient exécutées et que le transfert ne soit enregistré dans les livres du courtier. La question était la suivante : la lettre de directive transférait-elle la possession et la propriété du compte au donataire par voie d'un don ou un acte notarié était-il nécessaire? De plus, à quel moment le transfert a-t-il eu lieu?

La Cour d'appel du Québec a cité l'article 39 de la LTVM, lequel prévoit que le transfert ou le rachat d'une valeur mobilière s'opère par endossement ou instructions et dans le cas d'un actif financier, par ordres, et que les instructions données par le donateur de transférer le compte étaient valides au sens de la LTVM et ont pris effet immédiatement lors de sa signature par le donateur. Essentiellement, le tribunal a considéré le compte de titres comme un actif et a jugé qu'il pouvait faire l'objet d'un don, sans acte notarié, si le donateur avait donné des instructions valides à un intermédiaire financier de transférer le compte à un tiers. Le tribunal a également jugé que la livraison et le transfert du compte ont eu lieu lorsque le donateur a signé la lettre de directive, du fait que l'article 45 de la LTVM prévoit que « La validité des endossements, instructions ou ordres s’apprécie à la date où ils sont faits ou donnés. ». (Soulignement ajouté). Dans ce sens, la décision n’était pas novatrice.

Toutefois, il semble que la Cour d'appel a fait une détermination stratégique d'étendre la nature et le type d'« actif » pouvant faire l'objet d'un don au Québec, sans qu'il soit légalement requis d'avoir un acte notarié. L'intention est louable, puisque les procédures relatives au don par acte notarié sont évidemment plus lourdes et coûteuses que simplement donner instructions à son courtier de transférer les actifs. D'autre part, on peut légitimement se demander si ce résultat était du ressort de l'Assemblée nationale du Québec plutôt que celui des tribunaux.

 

[1] Michel Deschamps, Securities Transfert Act Enacted in Ontario and Alberta.

[2]Par souci de simplification, nous référerons à la LTVM de l'Ontario pour les arguments juridiques se rapportant à la nature d'un droit intermédié, mais sachez que les mêmes principes s'appliquent à toutes les LTVM applicables.

[3] Russel A. Hakes, UCC Article 8: Will the Indirect Holding of Securities Survive the LIght of Day, 35 Loy. L.A. L. Rev. 661 (2002) p. 686

[4] Russel A. Hakes, Supra, p. 688

[5] 2018 QCCA 992.


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