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Le transfert de biens au conjoint : une opération sans conséquence ?

12 juin 2019

Par Jonathan Éthier

Lorsqu’une personne doit des sommes aux autorités fiscales, il pourrait être périlleux pour celle-ci de tenter de soustraire ses actifs d’importance (ex : une maison, une voiture) de son patrimoine personnel en les transférant à un proche (ex : son conjoint, un enfant) dans le but de les mettre à l’abri du fisc. Ce genre d’opération n’est pas sans risque pour la personne recevant les actifs.

En effet, l’article 160 de la Loi de l’impôt sur le revenu[1]L.I.R. ») prévoit que lorsqu’un débiteur fiscal transfère des biens (ex : des liquidités ou des actifs) dans le cadre d’une opération comprenant un lien de dépendance, la personne recevant les biens pourra être solidairement responsable de la dette de l’auteur du transfert avec celui-ci, voire des intérêts payables. Un régime analogue existe en droit fiscal québécois[2]. Au fédéral, il sera loisible au ministre de cotiser le bénéficiaire du transfert en tout temps, aucune prescription n’étant applicable en pareilles circonstances[3]. Ultimement, la personne ayant reçu les biens pourra faire l'objet d'une cotisation pour le moindre de la valeur des biens reçus et de la dette du débiteur fiscal.

Ceci dit, tout est une question de « timing » ! Ainsi, on ne devrait pouvoir reprocher à un contribuable ayant reçu des biens de son conjoint, lequel n’aurait eu aucune dette envers le fisc à ce moment, d’avoir reçu tels biens si, plusieurs années plus tard, son conjoint fait l’objet de cotisations de la part de l’Agence du revenu du Canada ou de Revenu Québec.

Par exemple, dans la récente affaire Colitto c. La Reine[4], la Cour canadienne de l’impôt devait se prononcer sur des cotisations ayant été émises en vertu de l’article 160 L.I.R.

En l’espèce, la contribuable cotisée avait reçu en mai 2008 la moitié de deux immeubles d’une valeur totale d’environ 230 000$ pour la modique somme de 4$. Les biens lui avaient été transférés de la part de son conjoint qui était l’administrateur d’une société. Il appert que la société en question avait fait défaut de remettre ses déductions à la source (« DAS ») au ministre pour la période de février à août 2008. Presque deux ans après avoir reçu la moitié des immeubles, soit en mars 2011, le conjoint de la contribuable avait fait l’objet d’une cotisation pour les DAS impayée de la société en vertu du paragraphe 227.1(1) L.I.R. La procédure préalable à telle cotisation de l’administrateur exige, règle générale, que soit enregistré un certificat à la Cour fédérale précisant la somme pour laquelle la société est responsable (ce qui avait eu lieu en août 2009 dans Colitto) et que soit constaté le défaut d’exécution à l’égard des sommes dues par la société (en janvier 2011 suivant les faits de la décision).

Ultimement, la décision Colitto évoque que la responsabilité d'un administrateur (pour les DAS d’une société) ne peut être engagée en vertu du paragraphe 227.1(1) L.I.R. tant que les conditions préalables pour se faire ne sont pas satisfaites. En effet, encore faut-il que le ministre respecte la double exigence de l’enregistrement, d’une part, d’un certificat auprès de la Cour fédérale et qu’il y ait en sus un défaut d’exécution total ou partiel à l’égard de la dette de la société avant de pouvoir cotiser l’administrateur d’une société pour la dette fiscale de cette dernière (règle générale)[5]. C’est ainsi que la Cour décida que la responsabilité du conjoint à l’égard de la dette fiscale corporative avait été cristallisée en janvier 2011 et non en 2008, soit l’année du transfert immobilier et de l’omission par la société de verser des DAS. La contribuable a eu gain de cause et les cotisations ont été annulées.

Au final, cette décision témoigne de l’importance qu’une dette fiscale soit dûment établie au niveau de l’auteur d’un transfert avant que le fisc ne puisse s’attaquer au bénéficiaire du transfert. Dans tous les cas, pour les contribuables flairant la soupe chaude, il pourrait être approprié de consulter un professionnel avant de transférer leurs avoirs à un proche.

 

[1] Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.) (« L.I.R. »).

[2] Cf. article 14.4 de la Loi sur l'administration fiscale, L.R.Q., c. A-6.002 et article 1034 de la Loi sur les impôts, RLRQ, c. I-3.

[3] Cf. Paragraphe 160(2) L.I.R.

[4] Colitto c. La Reine, 2019 CCI 88.

[5] Cf. alinéa 227.1(2)a) L.I.R.


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