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L’autorisation d’une action collective au Québec : le fardeau du requérant demeure moindre que celui appliqué dans les provinces de common law

12 novembre 2020

Par Laurent Debrun

Desjardins Cabinet de services financiers inc. c. Asselin, 2020 CSC 30

http://canlii.ca/t/jb9sb

 

Asselin, comme membre d’une caisse populaire du Mouvement Desjardins, a souscrit entre 2005 et 2007 à deux types de placement auprès de sa caisse. Ces placements se caractérisaient par un capital correspondant à la valeur initiale du dépôt garantie à l’échéance du terme ainsi qu’à un potentiel de rendement variable. Asselin avait investi dans ces placements suite aux représentations faites par une planificatrice financière à l’emploi de Desjardins Cabinet de services financiers Inc. (« Cabinet »). Ces placements étaient ensuite gérés par Desjardins Gestion international d’actifs Inc. (« Gestion »). Gestion avait conçu les véhicules d’investissement.

La Cour suprême décide dans Asselin que la procédure d’autorisation d’une action collective au Québec doit, sauf exception, être une procédure sommaire et qu’il faut éviter la complexification des procédures ainsi que le volume excessif d’une preuve qui n’est pas nécessaire à l’analyse du syllogisme juridique qui est le seul fardeau du demandeur. Le juge d’autorisation ne doit pas faire preuve de rigorisme ou de littéralisme dans l’évaluation de la demande d’autorisation. Ceci mènerait le juge d’autorisation à s’avancer dans le domaine de la preuve et du fond et, partant, à imposer au requérant un fardeau allant au-delà des exigences fixées par l’article 575 Code de procédure civile (C.p.c.).

Le juge d’autorisation doit se contenter de vérifier la présence d’une question identique, similaire ou connexe, susceptible de faire avancer la réclamation du groupe, une condition nettement plus souple que celle existant dans les provinces de common law. Il ne s’agit pas pour le juge d’autorisation de pondérer les questions communes par rapport aux questions individuelles.

Ceci cadre avec l’approche généreuse et flexible adoptée récemment par la Cour Suprême dans la trilogie d’arrêts Infineon, Vivendi et Oratoire (trilogie). Ces arrêts constituent l’état du droit et la Cour suprême n’entend pas le changer.

L’autorisation d’un recours collectif au Québec nécessite l’atteinte d’un seuil peu élevé. Une fois les quatre conditions énoncées à l’article 575 C.p.c. satisfaites, le juge d’autorisation a l’obligation d’autoriser l’action collective. Le juge n’a aucune discrétion résiduelle lui permettant de refuser l’autorisation au prétexte que, malgré l’atteinte de ces quatre conditions, le recours ne serait pas le véhicule le plus adéquat.

La Cour suprême rappelle que dans sa trilogie il fut décidé que le fardeau incombant au représentant du groupe au stade de l’autorisation consiste simplement à établir l’existence d’une « cause défendable » en tenant compte des faits et du droit applicable. Ce seuil est peu élevé. L’étape de l’autorisation n’existe que pour écarter les demandes frivoles ou manifestement mal fondées en fait ou en droit. Il ne revient pas au juge d’autorisation à ce stade de se prononcer sur le bien-fondé en droit des conclusions au regard des faits avancés. Ici l’omission alléguée correspond à un manquement au devoir d’information qui, contrairement au devoir de conseil, est une obligation de résultat. L’absence du résultat suffit à faire présumer la responsabilité de Cabinet.

Lors de l’autorisation, le requérant n’a qu’un fardeau : démontrer le caractère défendable du syllogisme juridique proposé. Il n’a pas le fardeau de prouver chacun des éléments de ce syllogisme selon la prépondérance des probabilités. La Cour rappelle que le jugement sur requête pour autoriser un recours ne constitue qu’une décision préliminaire susceptible d’être modifiée au cours du procès, voire avant, et qui ne préjuge pas du résultat de la contestation finale.

Au Québec, le requérant n’a pas l’obligation de démontrer que sa demande repose sur un fondement factuel suffisant. Au stade de l’autorisation, l’état du droit au Québec veut que l’autorisation revête une conception souple de l’intérêt commun unissant les membres du groupe. Même si les circonstances varient d’un membre du groupe à l’autre, l’action collective pourra être autorisée si certaines des questions sont communes. Contrairement à l’état du droit dans le reste du Canada, au Québec une seule question suffit tant qu’elle fait progresser le litige. Une question commune peut faire avancer le litige même si de nombreuses questions individuelles demeurent.

Par contre, si une question de droit importante se dresse dans l’évaluation des quatre conditions de l’article 575 C.p.c. le juge d’autorisation peut la trancher si le sort de l’action en dépend. La vocation de l’étape de l’autorisation d’une action collective en est une de filtrage, pour écarter uniquement les demandes frivoles à leur face même. Il n’existe aucune exigence au Québec que les questions communes soient prépondérantes par rapport aux questions individuelles. Une seule question commune suffit si elle fait progresser le litige de façon non-négligeable et il n’est pas nécessaire qu’elle soit déterminante pour le sort du litige.

Le recours d’Asselin est fondé sur la responsabilité contractuelle de Cabinet qui aurait manqué à ses obligations d’information, ce qui le rendrait responsable des dommages subis par les membres du groupe. Quant à Gestion, il aurait manqué à ses obligations et devoirs de compétence dus aux mêmes membres quant à la conception et la gestion des véhicules d’investissement. Devant la Cour suprême, l’existence d’un lien contractuel entre les membres du groupe et Cabinet était admis (alors que la première juge avait refusé d’en reconnaître un). Si le juge d’autorisation commet une telle erreur dans l’appréciation du syllogisme avancé par le représentant du groupe, une Cour d’appel peut intervenir malgré le pouvoir discrétionnaire du juge d’autorisation.

Une fois les allégations de fait relatives à la faute reprochée identifiées, ces allégations doivent être tenues pour prouvées au stade de l’autorisation. La faute reprochée concerne un manquement caractérisé au devoir d’information incombant à Cabinet quant aux caractéristiques des placements. Les représentants de Cabinet ayant reçu des informations fausses ou incomplètes, ils ont ensuite induit en erreur ou trompé les membres du groupe ce qui est constitutif d’une faute en droit civil. En particulier, Asselin reproche à Cabinet de ne pas avoir dévoilé aux membres du groupe les risques liés aux problèmes de liquidité et au levier financier des placements. Les membres ne pouvaient savoir que Gestion employait des stratégies d’investissement risquées et non dévoilées.

Ici, Cabinet prétendait que chaque membre avait une relation particulière avec le planificateur financier avec qui il avait traité et qu’il ne pouvait donc y avoir unicité des fondements de la faute reprochée. Ce que la Cour suprême note est qu’ici c’est un manquement au devoir d’information et non au devoir de conseil qui est reproché. Cette omission généralisée et systématique de divulguer l’information quant aux risques liés aux placements est commune à l’ensemble des membres et suffit pour permettre au recours de progresser.

En fait, Cabinet plaidait devant la Cour suprême qu’une action collective contre une maison de courtage pour les manquements de ses représentants serait impossible. Ce moyen fut écarté par la Cour suprême, celle-ci déclarant qu’une action collective visant la responsabilité d’une maison de courtage pour le fait de ses représentants est possible, même si ce serait plutôt rare, pour autant qu’il soit question de la non-suffisance de l’information communiquée par la firme à ses représentants et par ricochet aux membres du groupe, menant à un manquement à un devoir général d’information. 

La Cour opine que tout en étant difficile, une réclamation recherchant l’octroi de dommages-intérêts punitifs et fondée sur l’atteinte illicite et intentionnelle de l’article 6 de la Charte, et portant ici sur certains papiers commerciaux adossés à des actifs, demeure défendable dans le contexte


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