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La demande de remise de droits, intérêts et pénalités, une option moins connue du contribuable?

16 décembre 2020

Par Philippe Brunelle

Dans le cadre de la décision récente, Mokrycke v. Canada (Attorney General)[1], un contribuable a présenté une demande en révision judiciaire d’une décision du Commissaire adjoint rejetant la demande de remise de droits du Contribuable basée sur l’article 23(2) de la Loi sur les finances publiques[2]. Ce type de demande vise à demander au Ministre de renoncer non seulement aux pénalités et intérêts faisant l’objet d’un avis de cotisation, mais également aux impôts et taxe.

Ce type de demande, tout comme les demandes en semblable matière basées sur l’article 94 de la Loi sur l’administration fiscale[3], fait rarement l’objet d’une étude par les tribunaux et ces décisions sont ainsi dignes d’intérêt.

La jurisprudence où une décision du Commissaire adjoint refusant d’accorder une de remise de droits et annulée est encore plus rare, sachant que ce type de demande demeure une mesure extraordinaire, tel qu’exprimé par la Cour d’appel fédérale dans la décision Fink v. Canada (Attorney General)[4].

Dans l’affaire Mokrycke, le contribuable allègue notamment qu’il s’est opposé à des avis de cotisation visant les années 2005 et 2006, mais n’a pas été en mesure de présenter son dossier de manière complète à l’agent d’opposition et de répondre aux questions de celui-ci. Ce faisant, faute de représentations du Contribuable et de son représentant, les avis de cotisation ont été maintenus au stade de l’opposition.

Selon le contribuable, au cours du processus d’opposition, il a eu de nombreux ennuis de nature personnelle et son comptable de l’époque a également dû se retirer du dossier pour des problèmes personnels. Ce faisant, le contribuable a confié son dossier à un nouveau comptable, qui n’a pas fait de représentations additionnelles, menant au rejet de l’opposition.

Le contribuable a par la suite repris son dossier lui-même, a établi une communication avec l’Agence du revenu du Canada (l’  « ARC »),  mais n’a jamais transmis de documents additionnels ou fait appel de la décision sur opposition, faisant en sorte que les avis de cotisation soient maintenus et que le contribuable n’ait plus de recours pour les contester.

Le contribuable, assisté par un avocat et son premier comptable, présente a donc présenté une demande de remise des droits, intérêts et pénalités découlant des avis de cotisation.

En vertu des lignes directrices du guide de l’ARC, le contribuable doit se trouver dans l’une des situations suivantes pour que sa demande soit accueillie, lesquelles ne sont pas exhaustives :

  • situation extrêmement difficile;
  • difficultés financières associées à des circonstances atténuantes;
  • mesure incorrecte ou conseil erroné des fonctionnaires de l'ARC;
  • résultats non voulus découlant des dispositions législatives.

À l’étude du dossier, le commissaire adjoint rejette la demande du contribuable, considérant qu’aucun des quatre (4) critères n’est respecté. Il s’agit de la décision qui fait l’objet de la demande en révision judiciaire présentée devant la Cour fédérale.

La Cour fédérale, appliquant le critère de la décision raisonnable établi par la Cour suprême dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov[5], a annulé la décision du commissaire adjoint. Effet, le Tribunal a considéré que des défauts de logique interne faisaient en sorte que la décision ne soit pas rationnelle.

L’une des failles de la décision mise de l’avant par le Tribunal est le fait que le Commissaire adjoint ait considéré que la demande du contribuable n’avait pas révélé que l’ARC avait commis une erreur dans le cadre de la vérification des années 2005 et 2006.

Or, comme ce qui est allégué par le contribuable est que certaines circonstances l’ont empêché de présenter sa preuve au moment de l’opposition et qu’il n’a pas pu démontrer que les cotisations étaient mal fondées, le rejet de sa demande de remise de droit fondé sur le fait que la cotisation tient toujours est contradictoire. En effet, quand le contribuable allègue un défaut l’empêchant de présenter ses arguments, le commissaire adjoint ne peut pas aveuglément baser sa décision sur le fait que la cotisation tienne toujours en l’absence de tels arguments.

Une autre faille mise de l’avant dans le raisonnement du fonctionnaire est qu’il considère que la situation relative au comptable ne doit pas être considérée, le comportement de celui-ci étant pour l’ARC assimilable au comportement du contribuable lui-même.

Or, les demandes de remise de droits donnent lieu à des circonstances exceptionnelles présentées par les contribuables. Ce faisant, l’ARC ne peut pas simplement appliquer les règles larges, mais doit considérer en quoi les circonstances sont particulières. Ainsi, comme la situation relative au premier comptable fait partie intégrante de la situation exceptionnelle du contribuable, le fonctionnaire devait considérer celle-ci.

Bref, la Cour reconnait qu’une cotisation maintenue après l’opposition ne signifie pas que l’ARC était bien fondée de cotiser, et les circonstances devant être considérées aux fins de demande de remise peuvent inclure la situation propre aux professionnels entourant le contribuable dans ses démarches. La Cour a donc ordonné que le dossier soit retourné à l’ARC pour décision par un nouveau décideur.

Compte tenu des circonstances exceptionnelles ayant eu lieu au cours de l’année 2020, du confinement, d’un chômage accru et des difficultés financières touchant un grand nombre d’entreprises contraintes à suspendre leurs activités, il est envisageable qu’une quantité plus grande de demande de remise de droits soient présentées au cours des prochains mois et prochaines années.

Il faut malgré tout étudier chacune des situations donnant ouverture à de telles demandes, car le critère de difficultés financières donnant ouverture à une demande de remise demeure restreint. La Cour d’appel fédérale rappelait dans l’affaire récente Escape Trailer Industries Inc. c. Canada (Attorney General)[6] que de simples difficultés financières ne sont pas suffisantes; il est nécessaire qu’il y ait soit un caractère extrême à ces difficultés financières ou qu’elles soient liées à des circonstances atténuantes.

Si vous croyez être dans une situation donnant ouverture à une demande de remise de droit, n’hésitez pas à contacter les fiscalistes de notre équipe, qui sauront vous conseiller et vous accompagner dans vos démarches.

 

[1] 2020 FC 1027

[2] S.R., c. F-10

[3] RLRQ, c. A-6.002

[4] 2019 FCA 276, par. 1

[5] 2019 CSC 65

[6] 2020 CAF 54


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