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Droit fiscal, Litige

Frais de justice contre Revenu Québec

24 mai 2016

Par Frédéric Delisle

En date du 21 avril 2016, l’Honorable Daniel Bourgeois de la Cour du Québec a rendu une décision en matière fiscale qui risque de causer bien des remous!

En effet, l’arrêt Poirier Blanchet c. Agence du revenu du Québec, 2016 QCCQ 2656, disponible ici, est l’une des premières, sinon la première, décision traitant du nouvel article 342 du Nouveau code de procédure civile du Québec (N.c.p.c.) en matière fiscale. L’article en question se lit comme suit :

342. Le tribunal peut, après avoir entendu les parties, sanctionner les manquements importants constatés dans le déroulement de l'instance en ordonnant à l'une d'elles, à titre de frais de justice, de verser à une autre partie, selon ce qu'il estime juste et raisonnable, une compensation pour le paiement des honoraires professionnels de son avocat ou, si cette autre partie n'est pas représentée par avocat, une compensation pour le temps consacré à l'affaire et le travail effectué.

De façon succincte, la cotisation émise à l’endroit de la contribuable par Revenu Québec, en date du 9 mars 2011, fit l’objet d’une opposition. Près de deux ans et demi se sont alors écoulés dans un silence total de la part de Revenu Québec de sorte que la contribuable, pour « faire bouger les choses », interjeta appel  auprès de la Cour du Québec le 26 novembre 2013. Plus de 11 mois plus tard, Revenu Québec déposa sa défense, soit le 31 octobre 2014, et l’audition fut éventuellement fixée au 2 mars 2016.

Or, surprise, en date du 21 juillet 2015, l’opposition de la contribuable fut accueillie par la Direction des oppositions de Revenu Québec et la cotisation annulée.  La contribuable refusa alors de signer un désistement sans frais et força la tenue de l’audition prévue afin de réclamer le « paiement, à titre de frais de justice, d’une compensation pour sanctionner les manquements de la part de la défenderesse, et ce, dans le déroulement de l’instance. »

Suite à une revue des dispositions applicables en la matière, le Tribunal:

  • rejeta « la position défendue par Revenu Québec selon laquelle une demande d'abus de procédure et de frais doit faire l'objet d'une procédure introductive d'instance distincte, selon le Tribunal compétent »;

  • affirma que « même si la décision sur opposition du 21 juillet 2015 a eu pour effet de mettre fin à l'objet de l'appel, cela n'entraîne pas automatiquement la perte de compétence du Tribunal pour statuer sur les frais. À défaut d'une entente entre les parties ou d'un désistement sans frais, il appartient donc au Tribunal de constater la « fin du litige», ce qui peut donner droit à ces frais »;

  • confirma non-seulement que « puisque la demanderesse a gain de cause dans ses prétentions juridiques selon lesquelles l'avis de cotisation n'était pas fondé, elle pourrait avoir le droit au remboursement de ses frais de justice par Revenu Québec, soit du moins les droits de greffe et de signification, tel que l'évoque le procureur de la défenderesse », mais souligne également « parce que le nouvel article 342 C.p.c. fait désormais partie des outils dont disposent le juge pour sanctionner les manquements importants constatés dans le déroulement d'une instance, le Tribunal a donc aussi le pouvoir, dans les cas qui le justifient, au terme d'une audience contradictoire, d'ordonner une compensation raisonnable pour honoraires professionnels si preuve est faite de « manquements importants dans le déroulement de l’instance» ».

Par conséquent, le Tribunal ordonna la tenue d'une audition sur la détermination des frais de justice.

Tel que souligné dans le cadre de cette décision, l’article 342 N.c.p.c. prévoit des « frais de justice (qui) se rapprochent désormais davantage des objectifs poursuivis dans les provinces du common law, notamment illustrés dans les règles de la Cour canadienne de l'impôt, notamment aux articles 151 et suivants des Règles ».

Il sera intéressant de surveiller les retombées de cette décision :

  • Les circonstances de cette cause étant uniques (soit l’annulation de la cotisation par la Direction des oppositions après le dépôt d’une requête en appel), cette décision sera-t-elle exceptionnelle?

  • Comment sera déterminé s’il y a eu des « manquements importants dans le déroulement de l’instance » et à partir de quel moment?

  • Est-ce que seuls les frais encourus suite à l’annulation de la cotisation seront susceptibles de compensation, ou est-ce que ce sera la totalité des frais encourus à partir du dépôt de la requête en appel?

À suivre.

Me Delisle s’est joint à l’équipe Spiegel Sohmer en 2014. Il œuvre au sein du groupe de litige fiscal. Il représente donc les contribuables devant les autorités fiscales, du processus de vérification jusqu’aux appels devant les tribunaux. En plus de son expérience en litige fiscal, Me Delisle a également œuvré en entreprise et a été impliqué dans plusieurs dossiers de négociations commerciales.