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Factures de complaisance : la logique l’emporte sur l’Agence du revenu du Québec

22 octobre 2013

Par Alexandre Dufresne

L’année 2013 sera prolifique au chapitre des décisions en matière de factures de complaisance (c’est-à-dire des factures émises dans le but de réclamer des taxes sans droit, ou de ne pas remettre des taxes). Une décision rendue le 15 octobre 2013 par la Cour du Québec dans Système intérieur GPBR inc. (« GPBR »), sous la plume de l’honorable Juge Richard Landry, jette un pavé dans la mare de l’Agence du Revenu du Québec (« ARQ »).

Les faits

GPBR se spécialise dans la pose de gypse et le tirage de joints. Il s’agit d’une entreprise familiale et ses actionnaires et employés sont tous tireurs de joints. GPBR sous-traite habituellement la pose de gypse et effectue elle-même le tirage de joints.

En 2007, à la suite de vérifications fiscales de compagnies œuvrant dans le même domaine, l’ARQ soupçonne GPBR d’être impliquée dans un stratagème de fausse facturation et saisie ses biens. Le vérificateur conclut dans son rapport que GPBR fait affaire avec des fournisseurs qui, dans 60% des cas, sont des fournisseurs de factures de complaisance (« FFC »). Il énonce dans son rapport :

« (L)es actionnaires de [GBBR] ont agi avec aveuglement volontaire. Une personne avisée se serait posé des questions face à une telle situation. […] L’analyse de l’équivalent en heures de la facturation vs. l’équivalent en heures sur les achats nous démontre que [les actionnaires] auraient pu faire plus d’heures sur les projets. Pourquoi engager des sous-traitants alors qu’ils auraient pu réaliser les travaux eux-mêmes. […] »

Ainsi, l’ARQ a émis des cotisations refusant les demandes de remboursement des taxes sur intrants (« RTI ») de GPBR pour la période de 2003 à 2007. L’ARQ prétend que le sous-traitant qui facture les travaux doit être celui qui les exécute et que GPBR a été négligente en ne faisant pas de « vérifications appropriées » des sous-traitants.

La décision

La Cour donne raison à GPBR. Le nom à indiquer sur une facture de fourniture de service peut être celui du fournisseur lui-même ou celui d’un « intermédiaire », tel que prévu à l’article 201R4 du Règlement. L’ « intermédiaire » est l’entité qui fait la sous-traitance des travailleurs. Il est donc faux de prétendre qu’une compagnie sous-traitante doit effectuer le travail elle-même.

Quant à la réclamation des RTI, la Cour conclut que l’ARQ ne peut exiger des contribuables plus que ce que la Loi et le Règlement leur imposent. Le contribuable n’a pas l’obligation légale de vérifier les bases de données du REQ, RBQ, CCQ, CSST, etc. De plus, le contribuable ne doit pas s’assurer de l’identité des administrateurs, se rendre au siège social de l’entreprise ou analyser les endos de chèques émis et encaissés. Le Juge stipule :

« […] les tribunaux doivent se garder d’imposer au contribuable des obligations qui ne sont pas prescrites par la loi et de juger de ses droits et obligations à partir d’une telle approche ».

Selon la Cour, comment peut-on reprocher au représentant de GPBR de ne pas détecter qu’il faisait affaires avec des fournisseurs de FFC « alors que les vérificateurs de Revenu Québec mettent plusieurs mois, voir plusieurs années de travail à parvenir à cette conclusion avec des moyens financiers, techniques et juridiques autrement plus importants que ceux de sa petite entreprise ».

De plus, la Cour conclut que les services ont été rendus, que GPBR ignorait le stratagème de fausse facturation, que ses actionnaires sont crédibles et que leurs témoignages constituent une preuve prima facie suffisante pour démolir les présomptions de l’ARQ.

La Cour réitère les principes énoncés dans Hickman Motors and dans House selon lesquels « un témoignage clair, non-ébranlé en contre-interrogatoire et offert par un témoin dont la crédibilité n’avait pas été mise en doute » suffit pour constituer une preuve prima facie démolissant ainsi la présomption de validité des faits allégués par l’ARQ. Dès lors, il y a un renversement du fardeau de la preuve et il incombe à l’ARQ d’établir le bien-fondé de sa cotisation, ce que l’ARQ n’a pas fait. La Cour prend le soin de conclure qu’« on ne peut simplement trouver GPBR « coupable par association » [et que] des soupçons ne constituent pas une preuve ».

Le Juge ajoute cette remarque à l’endroit de l’ARQ :

« Concernant la vérification du REQ [Registraire des entreprises du Québec], il est surprenant de constater que, même plusieurs années après que des entreprises ont été trouvées délinquantes, condamnées ou cotisées pour avoir été cataloguées FFC, il n’y a aucune mention de cela au registre au bénéfice de ceux qui le consulte quotidiennement pour obtenir des renseignements sur une entreprise. Puisque ce registre relève du ministre du Revenu, il serait sûrement utile pour tous, y compris pour la lutte aux fournisseurs douteux, d’y remédier. »

Enfin, même si l’ARQ prétend que la contribuable aurait pu faire les travaux elle-même, la Cour énonce qu’une entreprise est libre d’utiliser la sous-traitance comme elle l’entend.

Suite à cette décision, il serait louable que l’ARQ modifie ses méthodes de vérification et de cotisation en matière de FFC et évite de s’en prendre sans fondement à un contribuable qui réclame les RTI, qui n’est pas partie à un stratagème et qui a fait les vérifications requises par la Loi. Au surplus, l’ARQ – même lors des étapes de vérification et d’opposition – doit prendre note des principes de fardeau de preuve énoncés par la Cour suprême du Canada dans Hickman Motors et par la Cour d’appel fédéral dans House (et continuellement réitérés par les tribunaux).

Alexandre Dufresne est avocat et l’actionnaire directeur de Spiegel Sohmer Inc., un cabinet d’avocats à Montréal. Il est spécialisé en fiscalité.


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