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COVID-19 : aide-mémoire et conseils pratiques pour les locataires et locateurs

1 avril 2020

Par Laurent Debrun

Le bail est le point de départ:

Le bail contient-il une clause dite de force majeure par laquelle les parties ont alloué entre elles le risque relié à la situation actuelle (fermeture des magasins, bureaux, etc.)? Cette clause peut décharger une partie de sa responsabilité civile et contractuelle suite à une incapacité absolue d’exécuter une obligation du fait de l’événement de force majeure. La partie invoquant la force majeure assume le fardeau d’en prouver tous les éléments constitutifs (imprévisibilité et irrésistibilité).

Si le bail contient une clause de force majeure, comment est-elle rédigée? Couvre-t-elle tous les cas de figure incluant une pandémie ou seulement certains (feu, vol, grève, vandalisme…)?

Le locateur ou le locataire sont-ils excusés de toutes leurs obligations aux termes du bail en raison de la force majeure ou seulement de certaines? La plupart des baux commerciaux contenant une clause de force majeure excluent le paiement des obligations dont le locataire peut être déchargé en cas de force majeure. Il s’agirait d’une allocation des risques que les tribunaux pourraient imposer sauf exception (par exemple, le contrat d’adhésion).

La clause de force majeure permet-elle au locataire ou au locateur de résilier le bail? À défaut d’une rédaction limpide, un tribunal ne devrait pas permettre une telle résiliation en raison des effets d’un confinement d’une durée de 1, 2 ou 3 mois.

La clause permet-elle au locataire de suspendre le paiement du loyer durant la crise, d’en remettre le terme ou d’obtenir une réduction corrélative à la perte d’usage? Encore ici, la plupart des baux prévoient que le locataire n’est jamais libéré de son obligation de payer le loyer à temps. Il peut arriver que le bail prévoie une remise de loyer, mais seulement dans des cas de dommages physiques d’importance à l’immeuble. Ce risque est couvert par l’assurance du locateur la plupart du temps.

Si le bail ne contient aucune clause traitant de l’effet de la force majeure, c’est dans le Code civil du Québec que l’on trouve le régime général des obligations des parties (articles 1470 et 1693-1694). Deux écoles de pensée s’opposent quant à l’obligation du paiement du loyer ou de toute obligation de payer quant à un contrat contenant des obligations à exécution successives. La première veut qu’en cas d’une force majeure avérée entre les parties, le locataire puisse prétendre être libéré de l’obligation du paiement du loyer tant que dure la situation critique le privant de l’accès aux lieux loués ou, dans d’autres cas, à la réception de l’avantage, contrepartie des paiements successifs (cours privés, frais mensuels pour un gymnase, entretien d’un jardin…). Une nuance s’impose. Si le créancier de l’obligation peut, malgré la crise, obtenir certains bénéfices de son débiteur, il se peut alors que le créancier ne soit libéré que partiellement de l’obligation de paiement. L’autre école veut que la force majeure obligeant les locateurs à fermer les portes de leurs immeubles ne peut, en soi, libérer le locataire de son devoir de payer chaque mois, car le locateur n’est pas tenu à une obligation de garantie, mais de simple résultat. Chaque cas nécessite évidemment une analyse des faits, du bail et de la situation prévalant.

À défaut d’une clause dans le bail permettant au locataire ou au locateur de résilier le bail en invoquant la crise actuelle, un tel droit est discutable. Si le locataire invoque le droit de ne pas payer le loyer en raison de la force majeure, il ne devrait en plus pouvoir se prévaloir d’un droit de résiliation du bail. Encore ici, les parties devront négocier et trouver un terrain d’entente plutôt que d’agir sur des bases juridiques sans réelles assises.

Le bail contient-il une clause prévoyant qu’en cas de changement matériel (qui diffère d’une force majeure), elles devront ou pourront renégocier certaines parties du bail? Encore ici, chaque cas en est un d’espèce. Le locataire invoquant un changement matériel est-il réellement privé de tous ses droits aux termes du bail? Une fois la crise passée, le changement matériel sera de quelle nature quant au reste du terme?  Les difficultés financières d’un locataire causées par la crise de la Covid-19 est-il un facteur déclencheur de l’application d’une telle clause?

Le locataire qui a l’intention de notifier le locateur qu’il n’entend pas payer de loyer tant que dure les mesures de confinement se doit d’agir avec prudence et de consulter un professionnel. Quels effets un tel avis peut-il entrainer quant au bail et aux droits des parties?

Que le bail impose le devoir d’envoyer un avis au locateur du non-paiement du loyer, il faut s’assurer que cet avis soit donné en stricte conformité avec le bail et, à défaut de procédure, qu’il soit reçu par le locateur.

Le locateur doit tenir ses locataires au courant de la situation prévalant dans l’immeuble durant la crise et prendre les mesures respectant les instructions gouvernementales afin de veiller à la sécurité des locataires et de leurs clients.

Conservez un dossier quant aux évènements quotidiens pour après la crise. Quand l’autorité municipale ou gouvernementale a-t-elle décrété des mesures touchant l’immeuble ou le locataire? À titre d’exemple, les premières mesures visant les restaurants leur permettaient de servir jusqu’à 50% de leur clientèle selon la capacité autorisée. Si un restaurateur a décidé plutôt de fermer, est-ce à cause de la force majeure ou un choix délibéré? Qu’en est-il du locataire qui offre des services de restauration à emporter? Ses ventes augmentent nonobstant la crise. Peut-il invoquer la force majeure et ne pas payer son loyer?

Le locataire est-il visé par les services essentiels de sorte qu’il n’est pas privé de la jouissance des lieux. Peut-être a-t-il cependant décidé de ne pas demeurer ouvert et d’opter pour le télétravail. Les opticiens doivent fermer sauf s’ils offrent des servies d’optométrie. Si l’optométriste y œuvrant normalement ne vient pas par choix, le locataire opticien doit fermer. Est-ce à cause d’un cas de force majeure?  

Le locataire réalise-t-il des ventes en ligne? Il se peut que ce volume de ventes ait augmenté et que le chiffre d’affaires global n’ait pas baissé sensiblement. Encore ici, force majeure quant au loyer?

Même si l’immeuble est fermé, le locateur lui continue à s’occuper des lieux (entretien, nettoyage, assurance, taxes d’affaires, chauffage, etc.). Ces services sont généralement imputables au locataire à titre de loyer additionnel. Sont-ils visés par la force majeure et le refus du locataire de payer le loyer?

Si le locataire transmet au locateur l’avis de force majeure quant au loyer, le locateur doit-il y répondre sans délai? Nul ne peut savoir combien de temps la situation va perdurer. Autoriser, par exemple, un mois de non-paiement du loyer peut-il avoir un effet nuisible si la fermeture dure en réalité 3 ou 4 mois? Les parties doivent penser à l’avantage possible d’obtenir une quittance aussi complète que possible si elles transigent à ce stade quant aux effets de la crise à l’égard de leurs obligations découlant du bail.

Si le bail contient une clause obligeant le locataire à exploiter en permanence son local, le locataire doit-il prouver qu’il est dans l’impossibilité d’exploiter? Par exemple, si la banque décide de fermer, doit-elle conserver en opération le guichet automatique accessible au public de l’extérieur? Un magasin de détail autorisé à demeurer ouvert peut-il décider de déconnecter un guichet automatique s’y trouvant et que le contrat dit qu’il doit demeurer opérationnel et accessible en tout temps, car il est décidé qu’il est plus prudent de ne plus autoriser les paiements en argent liquide?

Nul doute qu’une fois la pandémie une chose du passé, d’autres considérations surviendront dans les relations locateur-locataire. Par exemple, un locateur pourra-t-il exiger de son locataire de coûteuses mesures d’hygiène qui, avant, n’existaient pas? Le locateur pourra-t-il ajouter aux frais communs des mesures de sécurité coûteuses?

Pensez à la couverture d’assurance:

Le locateur ou le locataire ont une police d’assurance. Qu’est-ce qu’elles prévoient en cas de force majeure? En cas de fermeture ordonnée par les autorités?

L’une d’elles couvre-t-elle les pertes du locataire? Celles du locateur, dont le revenu de loyer ou le % des ventes du locataire excédant le barème convenu?

Les deux parties devraient transmettre à leur assureur un avis de sinistre sans égard au contenu de la police. Celles-ci sont complexes et nous manœuvrons dans un terrain encore inconnu en lien avec la pandémie et les mesures adoptées d’urgence. Même si la police ne vous couvre pas, la preuve écrite de l’assureur sera utile si vous êtes par exemple éligible à une aide nécessitant la preuve que la perte n’est pas assurée.

Le locateur et le locataire doivent maintenir en place toutes les mesures de sécurité malgré la fermeture des lieux et veiller à la sécurité des biens et marchandises.

Soyez proactifs :

Les gestes que vous poserez en cette période de crise peuvent donner lieu à un différend. Le tribunal ou l’arbitre jugeront votre conduite d’une façon particulière, car la crise nous vise tous et le devoir d’agir de bonne foi, proportionnellement sans volonté de nuire ou de profiter se verra reconnaître une plus grande intensité.

Un compromis négocié devrait donc être la priorité en période de crise tout en protégeant vos droits. Ce règlement devrait être couché sur papier et clair. Ne pas omettre de tenir compte des lois concernant les taxes de vente si vous en venez à un accord quant à un montant donné. Celui-ci est réputé contenir des taxes de vente.


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