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Droit du travail et de l'emploi

Congédiement déguisé sans préavis raisonnable: quid des avantages prenant effet durant le délai de congé? La Cour suprême du Canada se prononce!

29 octobre 2020

Par Laurent Debrun

Dans Matthews c. Ocean Nutrition Canada Limited[1], une Cour suprême unanime a donné raison à l’employé victime d’un congédiement déguisé quant aux réparations qu’il recherchait. Même si l’arrêt concerne l’application de règles de common law, il est annonciateur d’un vent de changement qui pourrait avoir d’importantes répercussions au Québec dans le domaine du droit du travail. Règle générale, l’employé qui porte plainte pour congédiement déguisé a quitté son emploi en démissionnant, sans recevoir de préavis ou d’indemnité. L’employeur croit ne plus lui être redevable de quoi que ce soit. Erreur. Si l’employé entreprend un recours et fait la preuve qu’il fut victime d’un congédiement déguisé illégal, sans préavis ni indemnité, l’ensemble des réparations auxquelles il peut prétendre est vaste en common law et son ampleur grandit avec cet arrêt.  En droit québécois, la mesure de ces réparations n'est pas encore clairement définie par la jurisprudence, comme nous le verrons dans la deuxième partie de cet article.

Observations :

L’arrêt Matthews consacre le droit à une réparation aussi complète que possible à partir d’une prémisse simple : Le contrat d’emploi est présumé se poursuivre entièrement durant le délai de congé qu’aurait dû recevoir la victime d’un congédiement déguisé. Ceci doit donc couvrir les avantages qui seraient nés durant ce préavis et dont il fut privé. Ce n’est que si un régime d’intéressement, une politique de rétention ou un avantage prévu au contrat d’emploi et régi par des termes clairs et précis, portés à la connaissance de l’employé et visant précisément le cas d’un congédiement illégal ou déguisé comme cause de la déchéance de l’avantage post congédiement, que l’employé peut ne plus pouvoir y prétendre. Lors d’un congédiement ou d’une démission susceptible de donner lieu à un recours pour congédiement déguisé, il importera de tenir compte des principes dégagés dans l’arrêt Matthews avant de convenir de ce qui est ou sera ou non inclus dans le délai de congé ou l’indemnité en tenant lieu. Matthews devrait aussi inciter les employeurs à revoir tous les contrats prévoyant de tels avantages afin d’en vérifier le contenu et la clarté des termes. Il importera aussi de s’assurer que ces clauses soient clairement portées à la connaissance de l’employé, de préférence avant le début de son emploi, et que l’employeur puisse en faire la preuve.

Se pose également la question de la possible responsabilité de l’employeur ou par exemple d’un assureur en lien avec un avantage auquel l’employé aurait droit durant ce qu’aurait dû être le délai-congé mais dont il fut privé à cause du congédiement. Prenons l’exemple de l’employeur qui congédie illégalement et sans préavis un employé puis met un terme immédiat aux divers avantages de l’employé liés à son emploi, dont une couverture d’assurance invalidité. Quid de l’employé qui se blesse durant la période du délai-congé que le tribunal lui accorde ultérieurement? Si le contrat est présumé se continuer dans ses effets durant la période de délai-congé, l’employeur pourrait être tenu responsable.

Partie 1 : Matthews et la réparation des dommages en common law

L’arrêt Matthews clarifie la situation en common law en illustrant l’ampleur inattendue que cette réparation peut prendre quant aux avantages liés à l’emploi ne prenant effet que durant la période de préavis et dont l’employé fut privé.

  1. Matthews (Matthews) soutenait être la victime d’un congédiement déguisé, fait de façon abusive et de mauvaise foi et, qui plus est, sans aucun préavis raisonnable. Il réclamait comme réparation, en sus de dommages équivalant à un préavis de 15 mois de salaire et de la valeur des avantages sociaux durant ce préavis, le plein bénéfice d’une prime d’intéressement prévue dans un régime à long terme, prime devenue exigible durant la période de préavis. Le régime prévoyait que, pour avoir droit à la prime (définie comme ne faisant pas partie du salaire), l’employé devait être à l’emploi d’Ocean Nutrition Canada (Ocean) lors de l’évènement déclencheur. Devant la Cour suprême la question n’était pas de savoir s’il s’agissait d’un congédiement déguisé, ce qui était admis, mais de savoir quelle était l’ampleur de la réparation et si les termes du régime excluaient clairement le droit de Matthews à ce bénéfice en common law position défendue par Ocean.

Matthews est un chimiste qui travaillait pour Ocean depuis 1997, occupant divers postes de cadre supérieur. En 2007, l’environnement change et devient toxique; dès 2010, l’employé comprend que ses jours sont comptés. Ses supérieurs agissent de façon déloyale à son égard entre 2007 et 2011, ce qui mène à son départ.  L’employé, envisageant que Ocean soit vendue sous peu, tente alors en vain de négocier une renonciation à son droit à un préavis raisonnable en contrepartie du maintien en vigueur de ses droits aux termes du régime d’intéressement à long terme qui lui avait été offert en 2007.

En 2011, il quitte donc son emploi contre son gré pour en accepter un auprès d’un nouvel employeur. Ocean considère qu’il s’agit d’une démission et ne lui verse aucune indemnité. Un an plus tard, Ocean est vendue pour 540 millions de dollars. Si Matthews avait alors été à l’emploi d’Ocean, il aurait reçu une prime de plus d’un million de dollars.

La Cour suprême déclare que le droit à un préavis raisonnable concerne la protection de l’estime de soi d’un employé, valeur essentielle liée à son travail. Il existe des avantages non pécuniaires découlant de l’emploi. Si l’employeur procède à un congédiement déguisé de façon malhonnête, le tribunal peut intervenir afin de permettre à l’employé de recouvrir son sens de la dignité et, ceci, au-delà du rôle joué par l’octroi de dommages-intérêts équivalant au préavis.  L’employé capable de prouver que cet abus lui a causé des dommages allant au-delà de l’absence d’un préavis raisonnable peut les réclamer en réparation d’une faute contractuelle distincte de celle touchant l’absence de préavis.

Selon la Cour, la bonne foi anime tout le contrat de travail, de sa formation à sa terminaison. La prime d’intéressement prévue au régime doit pouvoir faire partie des dommages accordés en réparation du manquement au devoir de donner un préavis raisonnable. L’absence de préavis raisonnable constitue un abus de la part de l’employeur. Le fait qu’un congédiement soit abusif ou fait de mauvaise foi ne peut servir à augmenter la durée du préavis raisonnable auquel l’employé à droit comme réparation. Par contre, cela peut donner ouverture à un recours additionnel, cette fois en réparation des dommages prévisibles découlant du comportement abusif de l’employeur.

L’employeur ne doit pas se rendre coupable d’avoir induit en erreur intentionnellement l’employé quant à une question liée à l’exécution du contrat de travail. C’est une facette du devoir de bonne foi dans l’exécution de tous les contrats. Pour déterminer si un congédiement est déguisé, il ne faut pas s’attarder uniquement à la période entourant le congédiement mais au contraire étudier toute la période durant laquelle l’employé estime avoir fait l’objet d’un comportement déloyal ou abusif l’ayant forcé à quitter son emploi, ici une période de quatre ans (2007 à 2011).

En common law, la règle générale veut qu’un employeur peut congédier sans motif un employé ou le pousser à partir. Mais alors il est strictement tenu de donner un préavis raisonnable ou une indemnité. C’est une condition implicite et tacite du contrat de travail. Si l’employeur ne donne pas ce préavis, il sera condamné à des dommages équivalant à ce qu’aurait dû être ce préavis. Par contre, si l’employeur ment, trompe l’employé ou agit de mauvaise foi dans le cadre d’un congédiement et ne donne pas le préavis, il s’expose à des dommages intérêts distincts, en sus du devoir de payer l’équivalent d’un préavis raisonnable, car il aura violé la théorie générale de la norme de bonne foi et il doit donc y avoir réparation si cette conduite empreinte de mauvaise foi a causé un dommage prévisible. Il en irait ainsi de souffrances morales découlant de la façon dont le congédiement eut lieu, selon un test subjectif, propre à la réalité de l’employé congédié. On retrouve dans les motifs de la Cour, sous la plume du juger Kasirer, cet énoncé de l’origine de ce droit en common law : Un manquement à l’obligation d’agir de bonne foi dans la façon de congédier l’employé est également indépendant de tout manquement à l’obligation de donner un préavis raisonnable. Il peut servir de moyen permettant d’exiger réparation à l’égard d’un préjudice prévisible résultant d’un traitement brutal ou implacable de la part de l’employeur dans la façon dont il a congédié l’employé.

Les tribunaux devraient se poser deux questions lorsqu’ils sont appelés à décider si le montant des dommages‑intérêts qu’il convient d’accorder pour manquement à l’obligation tacite au contrat d’emploi de donner un préavis raisonnable doit inclure les primes et avantages prenant effet durant la période du préavis:

1) Quels sont les droits dont dispose l’employé en vertu de la common law n’eût été de son congédiement, l’employé aurait-il eu droit à la prime ou à l’avantage dans le cadre de ses conditions de rémunération pendant la période de préavis raisonnable? Il ne s’agit pas ici de décider si l’employé est admissible au régime d’intéressement, selon ses termes et conditions, ou de décider si ces derniers sont clairs ou ambigus, mais plutôt de déterminer le montant des dommages‑intérêts auquel l’employé a droit et s’il a droit d’être indemnisé pour la prime qu’il aurait touchée si Ocean n’avait pas contrevenu au contrat de travail. Les dommages‑intérêts à accorder à l’employé doivent-ils inclure une somme l’indemnisant pour la perte du paiement prévu par le régime? L’événement déclencheur du droit à la prime s’est produit pendant la période de préavis et, par conséquent, n’eût été son congédiement, l’employé aurait reçu le paiement prévu par le régime durant cette période. Dans ces circonstances, il est inutile, dit la Cour, de se demander si ce paiement faisait partie intégrante de sa rémunération. En ce qui concerne la première question, la Cour décide donc que l’employé a droit à des dommages‑intérêts à titre de dédommagement pour la prime qu’il a perdue car si un préavis adéquat avait été donné à l’employé, ce dernier aurait été un employé à temps plein ou un employé actif de l’entreprise pendant la période de préavis raisonnable. Pour les besoins du calcul du montant des dommages‑intérêts à verser en cas de congédiement injustifié, le contrat de travail est considéré comme étant résilié uniquement après l’expiration de la période de préavis raisonnable. Par conséquent, le montant de la prime prévue par le (régime) doit être inclus dans les dommages‑intérêts accordés à l’employé, en vertu de la common law, pour le manquement à l’obligation tacite de lui donner un préavis raisonnable.

2) Compte tenu de la réponse positive donnée à la première question, le tribunal doit ensuite déterminer si les modalités du contrat de travail ou du régime ont pour effet de supprimer ou de limiter clairement ce droit que confère la common law à l’employé. Selon la Cour, ce n’est pas le cas. Les clauses litigieuses du régime sont ainsi rédigées :

 2.03 CONDITIONS PRÉALABLES

                   [Ocean] n’a, aux termes de la présente entente, aucune obligation envers l’employé à moins que ce dernier ne soit un employé à temps plein d’ONC lorsque survient l’événement déclencheur. Il est entendu que la présente entente est nulle et sans effet si l’employé cesse d’être un employé d’ONC, que ce soit parce qu’il démissionne ou parce qu’il est congédié, avec ou sans motif.

 2.05 GÉNÉRALITÉS

                    Le Régime de primes pour la création de valeur à long terme n’a aucune valeur actuelle ou future si ce n’est à la date de l’événement déclencheur et la prime calculée et versée à l’employé ne doit pas être considérée comme faisant partie de la rémunération de ce dernier à quelque fin que ce soit, y compris en cas de démission de l’employé ou de calcul de toute indemnité de départ.

La Cour estime que le régime s’apparente à un contrat d’adhésion en ce que l’employé n’a pas eu le loisir d’en négocier les termes (la Cour souligne qu’il importera aussi de savoir si la clause fut clairement portée à la connaissance de l’employé lors de la conclusion du contrat, question qui ne se pose pas ici). L’interprétation d’une clause d’exonération ou de limitation de responsabilité se fait de façon stricte dans un tel contrat de sorte que si la clause n’est pas absolument claire et non ambiguë, elle ne sera pas opposable à l’employé pour le priver de ses droits. Lorsqu’une clause vise à supprimer le droit qu’a un employé en vertu de la common law d’obtenir des dommages‑intérêts lorsqu’il est congédié « avec ou sans motif », comme le prévoit la clause 2.03, une telle disposition doit être limpide pour écarter le droit de l’employé à réparation en cas de congédiement déguisé. Il s’agit ici d’un congédiement illégal étant donné que l’employé fut congédié sans préavis.  Il doit être évident que la clause d’exclusion vise les circonstances exactes qui se présentent sans quoi elle est insuffisante. Or, un congédiement sans motif n’inclut pas un congédiement illégal car sans préavis. Même si la clause 2.03 avait fait mention expressément d’un congédiement illégal, la Cour est avis qu’une telle disposition n’aurait pas modifié clairement le droit que confère la common law à l’employé.

Par ailleurs, si l’employé avait reçu un préavis de congédiement adéquat, il aurait toujours été un employé à temps plein de l’entreprise à la date de l’événement déclencheur et il aurait alors reçu le paiement prévu par le régime de sorte que la clause 2.05 du régime ne peut suffire à le priver de ce droit. Les dommages‑intérêts qui lui sont accordés tiennent compte de cette occasion manquée[2]. Même s’il n’existe pas de preuve que l’employeur aurait cherché sciemment à priver l’employé de son droit au bénéfice du régime, dans les faits, cet employé, victime d’un congédiement déguisé, fut privé d’une prime de plus d’un million de dollars à laquelle il aurait été éligible s’il était demeuré à l’emploi d’Ocean.

 La Cour accorde donc à l’employé des dommages‑intérêts pour sa perte de revenus équivalant au préavis raisonnable (15 mois), une somme de 1 086 893,36 $ pour la perte du paiement prévu par le régime qu’il aurait reçu pendant la période de préavis et la perte d’autres avantages découlant de son contrat de travail, moins une somme de 78 000 $ au titre de l’atténuation des dommages, montant qui correspond à la rémunération que lui avait versée son nouvel employeur.

Partie 2 : Le congédiement déguisé en droit civil et la mesure des dommages accordés. L’arrêt Matthews c. Ocean Nutrition Canada Ltd va-t-il souffler un vent de changement?

Introduction :

Dans la Partie 1 de cet article, nous avons tiré les principaux enseignements du récent arrêt de la Cour suprême du Canada dans Matthews c. Ocean Nutrition Canada Ltd. A partir d’une synthèse de trois arrêts de la Cour d’appel du Québec sur le même sujet, nous entendons identifier l’état du droit au Québec pour suggérer ensuite que Matthews pourrait engendrer d’importants changements. Qui plus est, l’arrêt Matthews met en lumière certaines conséquences juridiques reliées au congédiement et que les employeurs et employés peuvent ne pas avoir à l’esprit lorsqu’ils s’entendent sur un préavis raisonnable ou une indemnité en tenant lieu ou, pire encore, lorsqu’un employeur congédie un employé sans aucun préavis ou cause le congédiement déguisé d’un employé.

 Dans l’arrêt Farber c. Cie Trust Royal[3], la Cour suprême a élaboré en droit civil un test objectif, composé de critères opérationnels afin de conclure à un congédiement déguisé. Ceci ne fait pas controverse au Québec. Mais qu’en est-il de la réparation par l’octroi de dommages-intérêts? Tous les avantages quantifiables qui prennent naissance durant ce qui aurait dû être le délai de congé accordé par le tribunal sont-ils acquis à l’employé victime de congédiement déguisé? Trois arrêts de la Cour d’appel du Québec illustrent les possibles différences entre ce que Matthews vient de décider en common law et ce que la Cour d’appel du Québec a décidé.  

Dans l’arrêt IBM Canada Ltée c. D.C.[4], la Cour d’appel du Québec a notait que les articles 2091 et 2092 du Code civil du Québec (C.c.Q.) donnent au tribunal d’amples pouvoirs d’appréciation dans le calcul du délai-congé auquel un employé victime de congédiement déguisé a droit (24 mois étant aujourd’hui considéré comme la norme maximale, sauf circonstances particulières).

La loi fait en sorte que le lien d’emploi se termine à l’expiration de ce délai et, durant la durée du préavis, chacune des parties doit en principe continuer de respecter les obligations découlant du contrat. Pendant la durée du délai de congé, le contrat se poursuit entre les parties, avec les obligations qui s’y rattachent pour chacune d’elles.

Le régime d’indemnisation de l’article 2092 C.c.Q. n’entre en jeu que lorsqu’il y a contravention à la règle posée à l’article 2091 et, dans une certaine mesure, c’est là où une certaine ambiguïté commence à émerger.  Faute d’un préavis adéquat, le contrat d’emploi se termine-t-il dès qu’on cesse de l’exécuter, ou continue-t-il au contraire à produire certains de ses effets jusqu’à l’expiration de ce qui aurait été un délai raisonnable?

Un courant doctrinal et jurisprudentiel majoritaire reconnaît la légitimité d’une pratique selon laquelle l’employeur peut unilatéralement mettre un terme immédiat au lien d’emploi. Il doit alors verser à l’employé congédié soit un préavis raisonnable (délai-congé), soit une indemnité compensatoire suffisante

Il est étonnant que l’employeur puisse résilier un contrat légalement sans préavis tout simplement parce qu’il est disposé à payer les dommages-intérêts que causera son manquement. D’un autre côté, note la Cour d’appel, il est difficile de faire abstraction des avantages concrets dont cette thèse paraît porteuse. Très souvent, en effet, l’employeur placé en face de la perspective d’une inconfortable période de transition préférera provoquer une rupture immédiate. Il peut aussi arriver que ce soit l’employé congédié ou démissionnaire qui veuille quitter sans délai. La thèse de la rupture immédiate décidée unilatéralement présente l’avantage d’offrir cette solution en évitant de contraindre les parties à s’entendre sur l’heure pour parvenir au même résultat.  Mais cette théorie, qui élargit la portée apparente de l’article 2091 C.c.Q., semble moins reposer sur les textes du Code que sur une pratique largement répandue ayant acquis ses lettres de noblesse au fil du temps.

Mais quels sont les dommages auxquels l’employé victime d’un congédiement déguisé sans préavis a droit au Québec?  Les tribunaux ont parfois reconnu à l’employé le droit à toutes les formes de rémunération et avantages qu’il aurait normalement obtenus durant la période de délai-congé. Si la thèse de la terminaison immédiate produit dans la plupart des cas un résultat pratique analogue à celui émergeant de la thèse selon laquelle le contrat continue à produire ses effets jusqu’à l’expiration de ce qui aurait été un délai-congé raisonnable les deux approches peuvent parfois produire un résultat différent, de noter la Cour d’appel. C’est le cas lorsque la solution à un problème particulier est tributaire de la date précise de la terminaison du lien d’emploi, notamment lorsque l’obligation d’un tiers dépend de l’existence d’un pareil lien

Supposons par exemple qu’au nombre des avantages associés au lien d’emploi se trouve une protection d’assurance-vie au bénéfice de l’employé, comme c’est d’ailleurs le cas en l’espèce. Si par malheur l’employé devait décéder durant la période de délai-congé, on pourrait envisager deux hypothèses produisant des effets fort différents.  Dans une première, l’employeur a donné à son employé un préavis travaillé. Il semble alors assez clair que l’assureur doive verser la protection d’assurance, tenant pour acquis, aux fins de la discussion, qu’aucune autre cause n’y fait obstacle. Dans une seconde hypothèse, l’employeur a choisi de mettre fin immédiatement au contrat de travail en optant pour le versement d’une indemnité compensatoire devant tenir lieu du préavis et sans, par ailleurs, que l’employé ait consenti à le libérer du lien d’emploi. En application de la thèse du droit à la terminaison immédiate, l’assureur ne serait pas tenu de payer la protection d’assurance. Peut-être l’employeur aurait-il, cependant, à y pourvoir lui-même en application du principe selon lequel l’employé (ce qui inclut ses successeurs universels) a droit à tous les avantages qu’il aurait normalement pu obtenir durant la période du délai-congé.  Des divergences de vues sont apparues en jurisprudence comme l’illustrent, entre autres, la dissidence du juge Nuss dans Aksich et celle que j’ai rédigée dans Asphalte Desjardins. Elles questionnent la justesse de la thèse selon laquelle, par sa seule volonté, une partie pourrait provoquer la fin immédiate du lien d’emploi sans avoir respecté l’obligation que lui impose l’article 2091 C.c.Q.

En effet, pourquoi ce versement par l’employeur d’une indemnité en lieu et place d’un délai-congé devrait pouvoir produire un résultat différent pour l’employé congédié quant à son droit à des avantages survenant ou qui lui seraient acquis durant le délai-congé? La question demeure ouverte au Québec. Cependant, les motifs de l’arrêt IBM ne semblent pas concorder avec ceux de Monsieur le juge Kasirer pour la Cour suprême dans Matthews sur certains points essentiels liés à l’effet du congédiement déguisé sur les droits de l’employé à certains avantages prenant naissance durant le délai-congé.

Dans IBM, l’employé soutient avoir droit à la totalité de la somme se trouvant dans un régime de bonification du plan de pension offert par IBM. Il plaide que le contrat le créant en est une d’adhésion et qu’est abusive la stipulation prévoyant l’obligation pour l’employé de travailler pour le compte d’IBM jusqu’à l’âge de 55 ans afin de pouvoir jouir des fruits du régime. À son avis, cette modalité le prive donc du droit de toucher les actifs accumulés à son bénéfice en mettant prématurément et abusivement fin au lien d’emploi. Selon moi, décide Monsieur le juge Pelletier, IBM a raison et l’employé a tort. IBM avait le droit de mettre un terme au lien d’emploi sans aucun motif, sous réserve, bien sûr, de son obligation de donner un délai-congé d’une durée raisonnable. L’argument de la clause abusive est sans fondement dans la mesure où le régime poursuivait un but légitime, connu et accepté par tous, celui de fidéliser les employés cadres en les incitant à poursuivre leur carrière chez IBM jusqu’à l’âge de 55 ans. (…) Cela dit, l’employé aurait peut-être pu légitimement se voir octroyer une indemnité à ce titre s’il avait établi que son congédiement cherchait notamment à le priver des sommes accumulées virtuellement dans le (plan). Ce n’est pas le cas.

A l’expiration du délai-congé, l’employé d’IBM aurait eu 53 ans. Le régime lui octroyait des droits à compter de l’âge de 55 ans seulement. Pourtant, IBM avait mis un terme au régime durant la période de délai-congé sans toutefois faire perdre les acquis à ceux qui avaient adhéré au régime et qui étaient encore à son emploi. Le raisonnement de la Cour Suprême dans Matthews, s’il devait s’appliquer en droit civil, donnerait probablement un résultat différent. Matthews veut que l’employé reçoive tout ce qu’il aurait reçu durant le délai-congé n’eut été du congédiement déguisé.

Dans IBM, l’employé fut aussi contraint de vendre dès sa « démission » les actions d’IBM acquises suite à des options exercées. Ce prix était inférieur au prix le plus élevé de l’action IBM sur le marché durant le délai-congé. La Cour d’appel lui refusa réparation au motif qu’il s’agissait d’une « perte de chance » non indemnisable en droit québécois et que rien ne prouvait que l’employé avait les connaissances requises pour vendre ses actions au plus haut prix du marché. N’est-ce pas pourtant un avantage né durant le délai-congé (hausse du prix de l’action sur le marché) dont l’employé est privé en raison du congédiement déguisé?

IBM avait d’autres régimes de fidélisation. L’employé en réclamait le plein bénéfice durant la période de délai-congé. Certains termes du régime se lisaient ainsi:

About your IBM Long term incentive awards are not part of your normal or expected compensation, and shall not be considered compensation for the purposes of calculating any severance, redundancy, resignation, end of service payments, bonus, long-service awards, pension, retirement or other benefits or similar payments provided for under applicable laws and/or IBM plans or programs.

The RSUs awarded under this Agreement will vest according to the table below on the condition that you continuously remain an employee of the Company until such date. […] In the event you cease to be an employee (other that on account of death or becoming disabled as described in Section 12 of the Plan) prior to the Vesting Date(s) set forth above, all then unvested RSUs under this Award shall be canceled. In the event of a management approved leave of absence, any unvested RSUs shall continue to vest as if you were an active employee of the Company, subject to the terms above.

For purposes of the Plan and this Agreement, you shall be considered to be terminated from your employment with IBM or its affiliate on the earliest of the following dates : a. the date on which you give your employer notice of resignation; b. that date on which the employer gives you notice of termination of employment (whether or not for cause), or c. the date you cease to provide services to the employer or any affiliated company, regardless of whether such date is the last date upon which the employer is required by statute, common law, agreement, or otherwise to pay you wages or salary in lieu of notice.

La Cour d’appel admet qu’il puisse s’agir d’un contrat d’adhésion. Selon l’employé, les clauses prévoyant la terminaison prématurée des avantages prévus dans les régimes de fidélisation emportent, de sa part, une renonciation à l’avance à son droit d’obtenir réparation du préjudice qu’il subit au cas de préavis insuffisant ou de terminaison abusive de son contrat de travail, ce qui est contraire à l’article 2092 C.c.Q. Même si les mesures incitatives constituaient des conditions reliées à l’emploi. Dans la mesure où leurs conditions ne sont pas abusives, il faut les appliquer selon leur teneur, décida la Cour d’appel. Encore ici, le résultat aurait été possiblement différent si la question s’était posée dans l’arrêt Matthews car les clauses IBM et celles d’Ocean présentent d’importantes similitudes.

Asphalte Desjardins inc. c. Commission des normes du travail [5]

 L’employé avait donné un préavis de démission de 3 semaines mais l’employeur y avait renoncé et avait mis à pied l’employé sans compensation, estimant être en droit de renoncer au bénéfice du préavis donné par l’employé aux termes de l’article 2091 C.c.Q. Le juge Pelletier, ici dissident, estimait que l’employé donnant un tel préavis ne faisait qu’exécuter son obligation envers l’employeur afin que ce dernier puisse mitiger les effets du départ annoncé, l’employeur étant libre d’y renoncer mais alors, en contrepartie du paiement du délai-congé prescrit. Les juges majoritaires ont conclu différemment. Une démission ne devient pas un congédiement du seul fait que l’employeur renonce à son droit au délai de congé raisonnable que doit lui donner un salarié. Le délai de congé donné par l’employé a pour effet de reporter dans le temps la réalisation de la démission, le contrat continuant de produire ses effets durant ce délai.

Selon l’article 2092 C.c.Q., l’employé ne peut renoncer au droit à une indemnité pour le préjudice causé par le congédiement si le délai de congé donné est insuffisant ou que la résiliation est abusive.

Rendant les motifs pour la majorité, Madame la juge Bich note que si on peut soutenir que le contrat de travail se poursuit pendant le préavis, cette règle connait des exceptions. Il en irait ainsi lorsque l’employeur choisit, plutôt qu’un délai de congé travaillé, de verser à l’employé une indemnité compensatrice équivalente. Ce serait aussi le cas lorsque l’employé recevant le préavis renonce à l’avantage que lui confrère l’article 2091 C.c.Q. Dans ces deux situations, il n’est pas possible d’inférer l’impossibilité en droit pour l’employé de renoncer à que le contrat continue de produire ses effets pendant le préavis.

Le fait de donner un préavis régi par l’article 2091 C.c.Q. constitue une sorte de terme stipulé exclusivement en faveur de l’employé congédié. Par contre, quand l’employé démissionne et que l’employeur renonce au préavis, ceci ne met pas fin au contrat, qui durera pendant le préavis; l’employeur est seulement libéré de l’obligation de rémunérer l’employé.

Par contre, les juges majoritaires confirme la validité en droit de la pratique au Québec voulant qu’il soit permis à l’employeur, à sa seule convenance, plutôt que d’attendre l’expiration du délai de congé, de résilier immédiatement le contrat de travail à condition de verser à l’employé une indemnité équivalant au salaire et autres bénéfices auquel l’employé aurait eu droit s’il avait travaillé durant le délai de congé, sans obligation pour l’employé de mitiger ses dommages. Mais alors, cette indemnité, en lieu et place du préavis raisonnable, mettrait-elle un terme au contrat de travail de sorte que l’employé renonce ou perd le bénéfice des avantages auxquels il pourrait devenir éligible durant ce qu’aurait-été autrement le délai de congé? Un flou demeure.

Aksich c. Canadian Pacific Railway[6],

Monsieur le juge Nuss, dissident, réaffirme que l’employé congédié sans cause a droit à des dommages incluant tous les bénéfices et avantages dont il est privé et qui auraient été acquis ou pour lesquels il aurait été admissible durant la période de délai de congé durant laquelle il a le droit de continuer à travailler. Ici, M. Aksich (Aksich), haut cadre de CPR, fut congédié à l’âge de 52 ans et demi. CPR avait en place un programme permettant à un employé ayant atteint l’âge de 55 ans et un certain nombre de points calculés selon un barème précis d’opter pour un régime de préretraite pendant 5 ans avec salaire et avantages réduits (mais avec le droit de trouver un autre emploi rémunérateur) puis de devenir pleinement éligible à la pleine retraite, incluant la prise en compte des 5 dernières années de contribution. La Cour supérieure n’avait pas accordé à l’employé des dommages pour compenser la perte du bénéfice du régime de retraite.

Pour le juge Nuss, si Aksich s’était vu reconnaître le droit de travailler durant le préavis, il aurait atteint l’âge de 55 ans avec tous les points requis durant ce délai de congé. CPR prétendait que le droit à ce programme dépendait de la discrétion de l’employeur mais la preuve indiquait que tous les cadres admissibles avaient toujours reçu le plein bénéfice du régime suite à l’exercice de l’option.

L’employé qui ne se voit pas conférer un délai de congé avec droit de demeurer à l’emploi durant cette période peut il réclamer tous les avantages dont il est ainsi privé, dont ceux qui se seraient cristallisés durant le préavis? Le juge Nuss estime qu’il ne faut pas faire de distinction selon que l’employeur reconnaît ou non à l’employé le droit de travailler durant le délai de congé. Sinon, ce serait donner à l’employeur un avantage indu en optant pour un congédiement sans délai de congé travaillé, en violation du droit de l’employé prévu à l’article 2091 C.c.Q.

Madame la juge Mailhot se rallie aux motifs de madame la juge Bich pour la majorité. Tout en étant en accord avec le juge Nuss que le délai de congé dans les circonstances se devait d’être de 24 mois et que, l’employeur ayant failli à cette obligation, l’employé a droit aux dommages subis du fait de ce défaut, la Cour d’appel va refuser d’accorder à Aksich, à titre de dommages, la perte de l’accessibilité au régime de préretraite. Elle va le faire en donnant priorité aux termes de la politique interne de CPR prenant effet lors d’un congédiement, concluant que l’employé n’y avait pas droit lors du congédiement et qu’il n’est pas prouvé qu’il y aurait eu droit pendant le délai de congé que l’employeur se devait de lui donner.

La Cour rappelle que l’employeur qui entend congédier un cadre au Québec en se prévalant de l’article 2091 C.c.Q. a un choix : donner un délai de congé travaillé raisonnable ou mettre fin au contrat immédiatement en contrepartie d’une indemnité équivalente au délai de congé raisonnable. L’indemnité tenant lieu de délai de congé ne sert pas à réparer le préjudice découlant de la terminaison du lien d’emploi. Comme l’employeur possède le droit de résilier le contrat sans motif, les dommages que l’employé peut réclamer sont limités à la rémunération qu’il aurait reçue pendant la durée du délai de congé applicable, incluant les avantages pécuniaires prévus par le contrat de travail (déduction faite du devoir de mitigation).

Même si le congédiement est abusif et fait de mauvaise foi, les dommages accordés ne viseront qu’à compenser l’employé pour les dommages résultant de cet abus de droit mais non pour augmenter le montant des dommages tenant lieu du préavis qui aurait dû être donné. La Cour d’appel rejoint ici le prononcé de la Cour suprême dans Matthews sur ce point.

En ce qui concerne le congé de préretraite, la Cour d’appel note que la difficulté vient de ce que l’on doit distinguer la perte qui résulte de l’absence ou de l’insuffisance du délai de congé et la perte qui résulte de la terminaison même du lien d’emploi, seule la première donnant lieu à indemnisation. Se pose ensuite la question de déterminer si la perte est directe ou indirecte, si est certain le préjudice associé à la perte d’un avantage de retraite, qui est souvent une perte de chance.

La politique de retraite de CPR serait discrétionnaire selon la Cour d’appel. Au moment du congédiement, Aksich ne satisfait pas aux exigences lui permettant d’opter. Mais Aksich prétend que la perte de l’option découle du fait que CPR a décidé de verser une indemnité tenant lieu de délai de congé au lieu de lui concéder, conformément à l’article 2091 C.c.Q., un délai de congé travaillé. Dans ce dernier cas, Aksich aurait répondu aux critères d’admissibilité au régime de préretraite durant le délai.

La Cour d’appel fait une distinction entre un boni, une commission, une allocation automobile, qui seraient des avantages pécuniaires liés à l’emploi et compensables, et une modalité de terminaison d’emploi, comme ici, qui ne serait pas un bénéfice associé à l’exécution du travail. L’accès au régime de préretraite serait un bénéfice de fin d’emploi et non un bénéfice d’emploi, écrit la juge Bich.

La politique de cessation d’emploi de CPR donnait à l’employé congédié répondant aux critères précis lors du congédiement le droit d’opter entre l’accès à la préretraite s’il avait alors au moins 50 ans et 75 points d’accumulés ou une indemnité prédéterminée, sans devoir de mitigation pour l’employé. Selon les termes du régime, dit la Cour d’appel, le délai de congé et le délai de congé préretraite étaient mutuellement exclusifs, étant les 2 volets d’une alternative se concrétisant lors de la résiliation. L’employé ne pouvait prétendre au délai de congé comme source du droit à la préretraite car ce dernier est un substitut au premier. Comme il n’est pas en preuve que CPR a congédié Aksich dans le but de le priver de l’accès au congé de préretraite, la théorie de l’abus de droit n’est pas invocable pour remédier aux termes du régime. Pourtant la cour condamne CPR à des dommages moraux car elle a violé la bonne foi qui doit présider lors de la rupture du contrat, abusant ainsi du droit conféré par l’article 2091 C.c.Q. Il y eut humiliation causée par la brutalité de la rupture.

 

Conclusion : L’arrêt Matthews pourrait souffler un vent de changement en droit civil car il renforce la règle voulant que le contrat de travail est présumé se poursuivre dans ses effets durant le délai de congé et qu’en l’absence d’un texte clair, précis et connu de l’employé lors de son recrutement, l’employé congédié ou victime d’un congédiement déguisé ne devrait pas être privé du bénéfice d’un avantage qui ne se concrétise que durant ce délai de congé. En droit civil, la pratique voulant que l’employeur puisse opter entre verser une indemnité en lieu et place d’un préavis raisonnable ou accorder un délai de congé travaillé est peut-être défendable alors qu’elle peut engendrer des effets pernicieux à l’encontre de l’employé, en violation de l’article 2091 C.c.Q.

Les employeurs du Québec doivent tenir compte de la ratio decidendi dans Matthews. Elle signe une volonté accrue de protéger les employés. Le raisonnement de Monsieur le juge Nuss, dissident dans l’arrêt Aksich, se rapproche de celui de la Cour suprême dans Matthews. L’employeur voudra savoir si l’employé congédié abusivement, ou de façon déguisée, qui obtient gain de cause, peut prétendre aux droits s’étant cristallisés durant ce que la cour lui accorde comme délai de préavis à titre de dommages.

[1] Matthews c. Ocean Nutrition Canada Limited, 2020 C.S.C. 26, http://canlii.ca/t/jb004

[2] Nous verrons comment au Québec la Cour d’appel a plutôt vu une perte de chance non compensable dans un cas assez similaire à Matthews.

[3] (1997 CanLII 387) http://canlii.ca/t/1fr38

[4] (2014 QCCA 1320) http://canlii.ca/t/g7zj4

[5] 2013 QCCA 484 http://canlii.ca/t/fwl5v

[6] 2006 QCCA 931, http://canlii.ca/t/1nxbw