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Droit fiscal

Comment établir la valeur d’une vente fictive?

9 avril 2014

Par Louis-Frédérick Côté

En collaboration avec Me  Justine Benoit

Un entrepreneur qui construit un immeuble multi résidentiel afin de le louer doit payer la TPS et la TVQ sur la valeur marchande de cet immeuble dès que la première unité est louée à long terme. En effet, le constructeur est réputé se « vendre » à lui-même l’immeuble qu’il a construit et doit donc s’autocotiser la taxe payable sur cette vente fictive faite à lui-même.

Cette règle un peu bizarre a été adoptée par équité pour la personne qui n’est pas un constructeur et qui voudrait elle aussi louer les logements. En effet, cette personne devrait acheter l’immeuble neuf du constructeur et payer la TPS et la TVQ sur la valeur à l’achat. On s’assure donc par cette règle que les personnes qui achètent un immeuble d’habitation neuf puis le louent ou le vendent (et paient la TPS et la TVQ sur le prix d’achat sans bénéficier de remboursements) aient le même fardeau fiscal que les constructeurs qui le construisent pour eux-mêmes et pour les mêmes fins. Sans cette règle, le constructeur aurait un avantage concurrentiel en épargnant la taxe sur la valeur ajoutée à l’immeuble.

Trois méthodes sont utilisées par constructeurs qui doivent s’autocotiser afin d’évaluer la valeur de l’immeuble, soit : (i) le coût, (ii) la comparaison et (iii) le revenu.

(i)         Le coût : cette méthode consiste à établir la valeur de l’immeuble à partir des coûts réels de construction. Elle implique souvent des ajustements à la hausse et à la baisse par rapport à la situation du constructeur;

(ii)        La comparaison : cette méthode consiste à faire l’étude des ventes récentes de propriétés similaires et à établir la valeur de l’immeuble en utilisant une vente comparable pour ensuite effectuer des ajustements pour les différences qui existent avec le comparable choisi; et

(iii)       Le revenu : cette méthode consiste à établir la valeur d’un immeuble à partir du revenu net escompté (envisagé) actualisé selon un taux global d’actualisation. Ce taux est établi en se basant sur des ventes comparables.

Laquelle de ces trois méthodes choisir? Pour répondre à cette question, il est pertinent de prendre connaissance d’un nouveau jugement en la matière : Claude Beaudet et Alain Saucier c. Sa Majesté la Reine, 2011-3699(GST). Cette cause a été plaidée avec succès par l'auteur, Me Louis-Frédérick Côté de chez Spiegel Sohmer Inc.

Dans cette affaire, Revenu Québec contestait la valeur de l’immeuble sur laquelle les constructeurs avaient calculé la taxe.

Tout d’abord, la Cour canadienne de l’impôt (ci-après « CCI ») a accepté d’évaluer l’immeuble dans le contexte d’un marché primaire et non pas secondaire. Cela signifie que la valeur d’un immeuble dans un contexte d’autocotisation peut maintenant correspondre à la valeur établie en fonction des coûts de production et du prix du terrain sans tenir compte de la rentabilité éventuelle de l’immeuble en exploitation.

Par la suite, la CCI a décidé d’utiliser le coût réel des contribuables. En effet, puisque les coûts réels étaient disponibles et que ces coûts étaient honnêtes, la Cour a écarté le recours au manuel Marshall & Swift qui répertorie des coûts de construction standardisés.

La CCI a aussi conclu qu’il n’y a pas lieu de tenir compte du profit  du promoteur pour établir la valeur de l’immeuble, mais qu’il fallait inclure les frais de promotion et de publicité. Sur ce dernier point, nous rappelons qu’un constructeur ne devrait ajouter les frais de promotion et de publicité au coût et s’autocotiser sur le montant de ces frais que s’il a, au départ, récupéré à titre de crédit pour intrant la TPS et la TVQ payées relativement à ces frais.

En conclusion, il semble que bien souvent les constructeurs auraient avantage à utiliser la méthode du coût, lorsque les coûts réels sont disponibles, afin d’exclure le profit éventuel du calcul et ainsi réduire le montant qu’ils devront remettre aux autorités fiscales. En d’autres mots, l’utilisation de la méthode du coût telle que définie par les paramètres de cette récente décision pourrait, dans bien des cas, réduire la facture de taxe des constructeurs.

Louis-Frédérick Côté pratique le litige fiscal depuis de nombreuses années et oriente sa pratique de litige fiscal principalement en taxes à la consommation. 

Justine Benoit est une jeune avocate qui s'est jointe récemment à l'équipe de Spiegel Sohmer. Elle pratique en droit fiscal, plus particulièrement en planification fiscale et assiste Me Côté dans divers mandats qui touchent les taxes à la consommation.