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Droit des affaires, Droit fiscal

Changements au Registraire des entreprises et conséquences sur la divulgation provinciale et fédérale de la propriété effective pour les sociétés par actions et les fiducies

29 avril 2020

Par Daniel Frajman

La couverture médiatique du budget provincial, publié le 10 mars 2020, a logiquement été éclipsée par la récente pandémie, alors que la santé des citoyens demeure évidemment le premier sujet d’intérêt. Malgré cela, pour tous ceux et celles dont les activités professionnelles touchent au fonctionnement des sociétés par actions ou des fiducies, il est important de souligner une déclaration majeure du budget sur la propriété effective, laquelle prévoit le genre de règles qu’il faudra interpréter dans les années à venir afin de se plier aux exigences de divulgation de l’identité des individus ayant la propriété effective ou le contrôle de sociétés par actions et de fiducies. Nous abordons cette question ci-dessous et comparons certaines règles provinciales et fédérales.

Alors que les différents paliers de gouvernement canadiens commencent à suivre les recommandations d’institutions comme l’OCDE et le Groupe d’action financière (GAFI), les registres de propriété effective font leur apparition dans plusieurs juridictions au Canada. Ces registres visent à promouvoir une plus grande transparence des structures des sociétés par actions et fiducies en rendant publique l’identité des individus ayant un contrôle important sur la société par actions au bas de la structure en question, généralement les actionnaires détenant au moins 25 % des actions votantes, ou 25 % de la valeur totale des actions en circulation, ou encore détenant le contrôle de fait de la société par actions en question. Rappelons qu’en décembre 2017 les ministres des finances du Canada s’étaient entendus pour établir ce type de registre dans leur province respective d’ici mi-2019.

Certaines juridictions limitent l’accès aux registres à une consultation interne, ou aux forces de l’ordre dans certaines circonstances, ou encore aux autorités fiscales dans le cas d’une infraction matérielle suspectée ou d’une vérification (par exemple, le registre fédéral sous la Loi canadienne sur les sociétés par actions (LCSA) et les registres du Manitoba et de la Colombie-Britannique). Ces juridictions justifient l’établissement de ces registres comme un moyen de lutte contre le blanchiment d’argent, l’évasion fiscale et le financement d’activités terroristes. Dans les juridictions dans lesquelles la lutte plus générale contre la fraude entre les parties à une transaction semble être une motivation additionnelle, la consultation des registres est plus souvent publique et possible via une plateforme web (par exemple, les registres du Royaume-Uni, de l’Union européenne, et celui du Québec prévu pour 2021 tel qu’indiqué au budget). Le degré d’accessibilité de ces registres est le sujet de débats où les adeptes de registres internes redoutent la charge bureaucratique de la tenue de registres publics, tandis que les adeptes de registres publics citent la nécessité d’une transparence accrue.

Dans ce contexte, et en regard des mesures adoptées concernant les registres en vertu de la LCSA, il est intéressant de noter les points suivants en matière de transparence concernant le contrôle et la propriété des sociétés par actions et fiducies :

  • Les règles contenues dans la LCSA (entrées en vigueur en juin 2019) concernant le recensement des individus détenant la propriété effective d’une société par actions ne traitent pas expressément des fiducies en tant qu’actionnaires. En revanche, il est généralement accepté que dans le cas d’une simple fiducie familiale discrétionnaire détenant des actions participatives et non-votantes, les fiduciaires et non les bénéficiaires seraient désignés au registre comme ayant le contrôle de la société par actions. En effet, l’article 2.1 de la LCSA prévoit essentiellement qu’un individu ne sera probablement pas considéré comme ayant le contrôle si son intérêt dans la fiducie n’est pas assorti d’un droit de vote et que cet intérêt n’a pas de valeur en droit privé (par opposition au droit fiscal), ce qui sera souvent le cas pour les droits des bénéficiaires dans une fiducie discrétionnaire;

 

  • De plus, il est généralement admis qu’une lecture attentive de ce même article révèle que si une fiducie ne détient pas directement des actions dans la société par actions en question, mais qu’elle détient plutôt des actions dans une société interposée qui, elle, est actionnaire dans la société par actions en question, les fiduciaires ne seraient pas non plus désignés comme détenant quelque contrôle aux fins du registre. Cet article semble donc amoindrir la transparence en matière de fiducies. Cette transparence amoindrie permet en revanche de simplifier l’administration de la fiducie et d’éviter d’avoir à divulguer l’identité de bénéficiaires dont l’intérêt est indéfini;

 

  • Il reste à voir comment les annonces contenues dans le budget publié le 10 mars 2020 vont affecter les mesures de divulgation. Le budget indique notamment que le Registre des entreprises du Québec (REQ), dont l’accès en ligne est offert au public, contiendra, à partir de mi-2021 ou plus tard, l’identité des individus détenant la propriété effective des sociétés inscrites au REQ, soit les sociétés par actions québécoises, les sociétés par actions fédérales et des autres sociétés par actions faisant des affaires au Québec (à l’heure actuelle seule l’identité des trois actionnaires majoritaires avec droit de vote figure au registre). Le budget prévoit également qu’il sera dorénavant possible d’effectuer une recherche par nom d’un particulier dans le REQ (seule la recherche par nom d’entreprise est actuellement possible). Notons par ailleurs que le gouvernent a annoncé vouloir harmoniser ses mesures de divulgation avec la LCSA. Ainsi, nos observations au paragraphe ci-dessus pourraient aussi s’appliquer aux fiducies dans le registre québécois.

 

  • En revanche, le budget indique que dans les cas « (…) où la propriété ou le contrôle (d’une société par actions) est détenu ultimement par une fiducie, le nom du fiduciaire, du constituant et des bénéficiaires de la fiducie devront également être divulgués. » Il reste à voir si le gouvernent promulguera cette règle (un projet de loi peut être déposé plus tard cette année) et, si oui, si cette règle s’appliquera aux fiducies discrétionnaires. Tel que mentionné ci-dessus, il nous paraît peu souhaitable de mandater la divulgation publique de l’identité des bénéficiaires dont les droits dans une fiducie discrétionnaire sont indéfinis.

En somme, les juridictions fédérale et du Québec semblent diverger quand vient le temps de décider si l’accès aux registres devrait être interne et accordé aux forces de l’ordre et aux autorités fiscales dans certaines circonstances (au fédéral), ou s’il devrait être public (tel qu’annoncé dans le budget du Québec). Elles diffèrent également sur les mesures de divulgation des fiducies détenant un certain contrôle d’une société par actions (le Québec favorisant possiblement une plus grande transparence que le fédéral). Une chose est sûre, chaque province et territoire va devoir débattre de ces enjeux au moment de rédiger et de promulguer leur propre régime législatif introduisant ces mesures de divulgation de propriété effective.

Cet article a initialement été publié par the Lawyer’s Daily (www.thelawyersdaily.ca), une publication de LexisNexis Canada Inc.